INTRODUCTION

Début août 1914, après plus d’un un mois d’une crise diplomatique dont beaucoup de français ignoraient la gravité, les évènements s’accélérèrent : la mobilisation générale, la déclaration de guerre, les mouvements des troupes vers nos frontières du nord et du nord-est, puis, rapidement, ce furent les premiers combats, les premiers morts. Nous évoquerons ici, avant une communication plus complète, ce que pouvait être le village au moment où commence le conflit puis et surtout qui étaient ces premiers « enfants de Juigné » « morts pour la France ».

-1- JUIGNÉ-SUR-SARTHE AU DÉBUT DU XXÈME SIÈCLE

Juigné-sur-Sarthe est un village jouxtant la petite ville de Sablé-sur-Sarthe aux confins sud-ouest du département de la Sarthe (voir ci-dessus). En 1914, il était entouré par les communes d’Asnières-sur-Vègre au nord-est, d’Avoise à l’est, de Solesmes au sud, de Sablé-sur-Sarthe au sud-ouest, de Gastines-sur-Erve1 à l’ouest et d’Auvers-le-Hamon au nord-ouest (voir ci-dessous). Avec Solesmes et Sablé-sur-Sarthe les liens étaient sans doute plus étroits : importance des marchés de Sablé pour l’agriculture, employeurs et/ou sites de travail pour des juignéens sur ces deux communes, ou inversement lieu de travail sur Juigné pour une résidence à Sablé ou à Solesmes.

1 Aujourd’hui rattachée à Sablé-sur-Sarthe (depuis 1965).

JUIGNÉ-SUR-SARTHE DANS LE DÉPARTEMENT DE LA SARTHE

Nota : limites des communes actuelles (après réunion de Gastines-sur-Erve à Sablé, en 1965) et limites des cantons en 2014 (pour le canton de Sablé elles étaient les même en 1914).

À partir du milieu du XIXème siècle et au début du XXème encore, Juigné pouvait être qualifié de village semi-industriel. Cela était lié à la géologie : en grande partie situé aux confins orientaux du Massif Armoricain, à l’extrémité sud-ouest du Synclinorium de Laval, son territoire disposait d’un sous-sol qui offrait encore de belles potentialités (voir croquis cartographique ci-dessous). Dans ce secteur du Massif armoricain on trouve en effet un calcaire-marbre dit de Sablé ou de Juigné, et de l’anthracite. On avait également trouvé l’un ou l’autre sur le territoire de communes voisines : Asnières-sur-Vègre, Auvers-le-Hamon, Gastines-sur-Erve ou Solesmes, voire Épineux-le-Seguin dans la Mayenne proche. Depuis fort longtemps le marbre avait été exploité, avec une intensification à partir du XVIIIème siècle. Quant au charbon, il avait été découvert en 1808 et exploité à partir des années 1820.

CHARBON, CALCAIRE ET MARBRE DANS LA RÉGION DE JUIGNÉ-SUR-SARTHE,
LE CONTEXTE GÉOLOGIQUE

Sources :

  • -Jérôme Tréguier (sous la dir. de), Histoire de la géologie de la Mayenne, éditions errance, juin 2010.
  • - Cartes géologiques du secteur (BRGM).
  • -Travaux d’Ans Traces Sites et notamment d’Henri Massé.

Au recensement de 1911, le dernier avant la Première Guerre Mondiale, Juigné comptait 1 168 habitants. Cependant la répartition de cette population montrait une importante dispersion, le bourg n’en comptait qu’un peu plus du quart. Le reste se trouvait dans des hameaux : le Port, les Saulneries, les Places pour ne citer que les plus importants, ou dans des écarts isolés fréquents ici comme dans de nombreux autres secteurs bocagers mainiots2 (voir aussi l’extrait de carte « d’état-major » ci-dessous).

Territoire de Juigné, seconde moitié du XIXème siècle ; entourés : le bourg et les principaux hameaux.
Source : http://www.geoportail.gouv.fr (carte d’état-major 1820 – 1866, la présence du tracé du chemin de fer plaide plutôt ici pour la fin de la période).

La population du village avait été plus nombreuse : au cours du XIXème siècle elle était passée d’environ 800 vers 1800 à environ 1 520 au début des années 1860 ; depuis elle déclinait. Il y avait à cela plusieurs raisons : « l’industrialisation » du village fut sensible entre 1820 et 1860-1870 : du fait de l’exploitation de l’anthracite, des carrières ou des fours à chaux (le village comptait six fours à chaux sur trois sites dont un restait en activité). Mais, depuis le dernier tiers du XIXème, certaines de ces activités avaient connu des hauts et des bas, voire avaient franchement décliné. L’exploitation de l’anthracite notamment connaissait au début du XXème siècle une période d’étiage sévère ; la guerre relancerait la production (voir graphique ci-dessous).

2 Listes nominatives (cote 2Mi 289_29-1906 Juigné sur Sarthe, ou 2Mi 289_29-1911, 1921, 1926,1931, 1936 Juigné sur Sarthe, documents accessibles sur : http://www.archinoe.fr/cg72v2). Pour 1901, 1906 et 1911, les listes nominatives sont moins précises que pour d’autres communes et classent les ménages par section. Hors de celle constituée par le bourg et ses abords immédiats, chaque section prend le nom du hameau le plus important ou de l’un des lieux-dits, sans préciser davantage. Ainsi, ce n’est que par recoupements avec certains actes d’état civil qu’on peut parfois savoir précisément pour la résidence de tel ou tel juignéen d’il y a un siècle s’il s’agissait d’un de ces hameaux ou d’un écart isolé.

SITES DES MINES D’ANTHRACITE, DES CARRIÈRES DE CALCAIRE, DE MARBRE, DES FOURS À CHAUX ET DES MARBRERIES SUR ET À PROXIMITÉ IMMÉDIATE DE LA COMMUNE DE JUIGNÉ-SUR-SARTHE1

Légende :

  • - Limites communales.
  • - Puits d’extraction d’anthracite.
  • - Carrière de calcaire ou de marbre de Sablé (ou de Juigné)1.
  • - Four à Chaux.
  • - Marbrerie.

Sources : fond de carte IGN (http://www.geoportail.fr), localisations des sites : BRGM et association Ans Traces Sites.

1) Tous ces sites sont aujourd’hui inexploités (fin d’exploitation au milieu du XXème siècle au plus tard).

De la présence de ces richesses en sous-sol et de son histoire économique au XIXème siècle, il ressortait que, sociologiquement, la population de Juigné-sur-Sarthe présentait des traits communs à de très nombreux villages de France de ce début de XXème siècle et en même temps quelques particularités.

Nous avons ici opté pour une répartition par C.S.P. (catégories socio-professionnelles) de la seule population masculine. Cela donne un résultat un peu différent qu’un graphique qui s’appuierait sur l’ensemble de la population du fait de l’existence d’activités, soit exclusivement masculines (mineurs, carriers…), soit exclusivement féminines (couturières, lingères…). De plus, nous avons ici un graphique qui sera plus pertinent quand on l’utilisera comme élément de comparaison en évoquant les mobilisés ou les morts pour la France. Source, Archives Départementales de la Sarthe, cote 2 MI 289_29, consultable sur http://www.archinoe.fr/cg72.

Nous évoquions un village « semi-industriel », on voit bien pourtant que l’agriculture restait l’activité qui réclamait le plus de bras (voir graphique ci-dessus). En 1911, sur un total de 355 foyers, environ 70 avaient pour « chef de famille » un cultivateur. Le plus souvent, la composition de ces ménages consistait en un couple cultivateur – cultivatrice et leurs enfants auxquels pouvaient se joindre le père ou la mère d’un des membres du couple référent, ou un frère, une sœur et, dans certains cas, un ou plusieurs aides de culture étrangers à la famille… Sur la liste nominative du recensement de 1911, la mention « cultivateur » ou celle de « cultivatrice » totalise près de 140 occurrences3. Cependant, avant même celle des agriculteurs, la catégorie la plus nombreuse est celle des « aides de cultures », la mention y revient 137 fois. Il y avait en moyenne deux domestiques de ferme – aides de culture par exploitation et, en moyenne, la moitié de ces aides de cultures étaient des membres de la famille du « cultivateur » ou de la « cultivatrice » : enfants, jeunes frères ou sœurs… Après, venaient les journaliers, ils étaient 92. Toutefois, ils ne louaient pas exclusivement leurs bras dans le domaine agricole4. Ainsi, 5 d’entre eux étaient employés préférentiellement par la Société anonyme des marbres de l’ouest, 2 l’étaient par le moulin5.

Autre aspect pour lequel il n’y avait guère de différences avec de nombreux autres villages : une proportion relativement forte de petits commerçants et de petits artisans. Ainsi, il y avait 5 épicières, huit foyers dont l’un des membres au moins tenait un débit de boisson, deux charrons, deux menuisiers, deux tailleurs d’habits, dix couturières, etc… La plupart des établissements commerciaux ou artisanaux concernés n’avaient aucun employé, seul l’un des membres du couple référent du foyer y travaillait ou, parfois, les deux conjoints. Comme pour de nombreux villages encore, le Juigné de 1911 comptait quelques personnes employées dans ce que nous appellerions aujourd’hui les services publics : employés des chemins de fer, instituteurs et institutrices, cantonniers, éclusiers…

Même si, au début du XXème siècle, la présence d’une famille de grands propriétaires dominant l’économie et la société d’un village était loin d’être un cas unique, cette situation se retrouve à Juigné et marque sa sociologie. Ici, « le Château » était, et de loin, le plus gros employeur : une soixantaine de personnes parmi les résidents du village (des femmes de chambre au régisseur du domaine en passant par les valets de chien, les gardes particuliers, les cuisinières, les cochers…)6. D’autres propriétaires avaient aussi des employés à leur service mais avec des effectifs beaucoup plus modestes (un ou deux le plus souvent, voire pour un cas, jusqu’à six).

Enfin, il y avait les activités industrielles ; on ne trouve plus sur la liste nominative de 1911 de chaufourniers explicitement mentionnés, mais on trouve encore un certain nombre d’employés des mines et surtout des carrières. L’activité minière employait alors une vingtaine de juignéens, sur deux sites, tous au service de la Société des charbonnages du Maine. On le voit, nous sommes loin des grands centres des pays noirs. Ajoutons que les mines juignéennes ne recrutaient pas exclusivement des résidents de la commune et que les mines n’employaient pas uniquement des mineurs mais aussi un forgeron, un serrurier, un ingénieur et un sous-ingénieur… Quant aux carrières et au travail du marbre, ils comptaient plus de 65 employés résidant à Juigné. Mais ici, il n’y avait pas un employeur unique, à côté de la Société anonyme des Marbres de l’Ouest avec 46 juignéens travaillant pour elle, il y avait les établissements Lemaire qui employaient 7 juignéens et de petits carriers employant chacun de 0 à 7 employés juignéens. Comme pour les mines, il y avait là aussi, surtout pour les entreprises les plus importantes, une relative diversité des types d’emplois : carriers, casseurs de pierre, scieurs de marbre, polisseuses, rouliers… La dernière activité industrielle était la minoterie. Le moulin de Juigné, le second site de minoterie de la Sarthe, employait alors 14 personnes domiciliées à Juigné7. Ceux qui travaillaient dans ces emplois industriels résidaient essentiellement sur les secteurs du Bourg, du Port-de Juigné et des Saulneries-Maupertuis.

Lieu-dit La Masselière, logement patronal, écurie, partie commerciale et bureau de la mine exploitée par Société des mines de Juigné.
Source : http://www.culture.gouv.fr (Base Mérimée)

Péniche remontant la Sarthe à la voile dans le canal saint-Clément.
On distingue à l’arrière-plan à gauche une partie du hameau du Port de Solesmes (aujourd’hui Port de Juigné), face à L’abbaye de Solesmes. À l’arrière-plan à droite la marbrerie Saint-Clément sur l’île du même nom et où le sciage du marbre se faisait grâce à la force hydraulique. Cliché sur verre qui pourrait dater de la fin du XIXème siècle. Coll. Particulière.

Carte postale : vue de la vallée de la Sarthe depuis Solesmes et vers l’amont, début du XXème siècle.
On distingue au premier plan le pont, « nouveau » car datant de 1903, Puis le coteau où l’on remarque les marques de l’exploitation de carrières et une petite marbrerie fonctionnant grâce à une machine à vapeur. À l’arrière-plan, le village de Juigné. Coll. Particulière.

Carte postale : vue du moulin et de l’église de Juigné depuis la rive gauche de la Sarthe, début du XXème siècle.
On remarque le principal bâtiment du moulin puis parallèle et derrière, un autre plus modeste (moindres longueur et hauteur), à l’arrière-plan à droite, l’église et quelques maisons du bourg. Coll. Particulière.

Pour mettre un terme à cette présentation démographique, ajoutons que la population du début du siècle dernier était plus mobile qu’on pourrait le croire a priori. En effet, tous les habitants qui vivaient à Juigné à la veille du conflit n’y étaient pas nés, et, inversement, des natifs de Juigné n’y résidaient plus. Sur l’ensemble de la population de la commune en 1911, la proportion de personnes nées au village est même un peu inférieure à 40%. Il est vrai que les juignéens natifs d’une autre commune étaient surtout originaires de villages plus ou moins voisins8. S’agissant des adultes, cette mobilité touchait particulièrement les domestiques, les travailleurs des carrières ou des mines, les « services publics »9.

Cette présentation de la démographie et de la société de Juigné en 1911, sans doute trop rapide, était un préalable pour se rendre compte comment la guerre toucherait le village. Comment le découvrir ? Les traces les plus visibles dans le paysage actuel de cette épreuve imposée au village sont ses monuments aux morts.

3 Ce nombre de 140 s’entend en comptant l’homme et la femme du couple référent chaque fois que le chef de famille n’est ni un veuf ou une veuve ni un célibataire. D’autre part, la liste nominative du recensement de 1911 ne permet pas de savoir quelles exploitations étaient en faire valoir direct, quelles étaient celles qui étaient en fermage, etc. Notons juste qu’une partie importante des exploitations étaient des fermes propriétés du « Château ».

4 Ne sont comptabilisés ici que les journaliers qui ne sont pas associés à une activité ou un métier particulier (on a par exemple des « lingères journalières » ou des « journaliers marbriers »).

5 Dans la plupart des cas, la colonne réservée à la mention de l’employeur est complété par le mot : « divers », mais certains journaliers sont associés à la mention d’un employeur particulier.

6 En fait, il y avait deux ménages, Celui de madame la marquise de Juigné, née de Talhouët, veuve du précédent marquis, d’une part et, d’autre part, le ménage composé par son fils Jacques Marie Auguste Leclerc de Juigné, marquis, son épouse et leurs enfants. Dans les deux cas une partie des domestiques était comptabilisée dans le foyer des maîtres. Mais, sur la liste nominative, il n’est pas toujours évident de distinguer pour certains employés s’ils étaient au service de la marquise mère, ou du marquis, « marquis » et « marquise » étant abrégés dans la dernière colonne de manière parfois peu lisible. Il est à noter que les employés occupant un emploi lié à la chasse sont particulièrement nombreux, il faut préciser que le Rallye de Juigné était à l’époque particulièrement important. De plus, les quelques journaliers travaillant exclusivement ou préférentiellement pour « le château » ont été comptabilisés avec les autres journaliers. Enfin, des personnes au service « du château » pouvaient résider dans des communes voisines, le cas est avéré pour au moins deux solesmiens en 1911.

7 Il y avait alors sur la commune deux sites utilisant la force hydraulique fournie par la Sarthe : l’un, au pied du bourg pour produire du blé (celui dont il est question ici) mais un autre site un peu plus en aval, face à l’Abbaye de Solesmes, sur l’Île Saint-Clément utilisait la force de l’eau pour scier le marbre.

8 Sur les environ 1 160 personnes recensées, environ 440 était natives de Juigné, 245 d’une autre commune du canton de Sablé. Sablé-sur-Sarthe, et Auvers-le-Hamon y contribuant respectivement pour 54 et 57 juignéens d’adoption. Certaines communes de cantons limitrophes fournissaient chacune plus de dix de leurs natifs à la population juignéenne : Avessé, Bouessay, Noyen-sur-Sarthe, Poillé-sur-Vègre. Il y avait bien sûr des juignéens nés plus loin, mais en dehors de Paris, où était née une partie de la famille du marquis de Juigné, la plupart de ces communes lointaines ne fournissent qu’un seul ou deux individus à la population juignéenne de 1911. Ces personnes recensées à Juigné quoique natives d’une autre commune étaient surtout des adultes ; domestiques, journaliers, aides de cultures, personnels des « services publics » contribuaient pour une large part à ce brassage de population. En revanche la population agricole était nettement plus stable même si la majorité des couples agriculteur-agricultrice ne comptait qu’un juignéen de naissance. La structure par âge des juignéens de naissance montre aussi qu’une partie des adultes nés au village sont allés s’installer ailleurs. (Archives Départementales de la Sarthe, cote 2 MI 289_29)

9 Nous pourrons observer un effet de cette mobilité géographique en évoquant notamment les morts pour la France : ceux qui sont honorés à Juigné quoique natifs d’ailleurs, et ceux qui n’étaient plus domiciliés à Juigné au moment de leur décès.

-2- COMMENT SAVOIR QUELS FURENT CES JUIGNÉENS QUI MOURURENT POUR LA FRANCE ? LES MONUMENTS AUX MORTS

Il y a sur la commune de Juigné trois monuments aux morts. Intéressons-nous ici à celui devant lequel ont lieu les cérémonies commémorant les armistices. Cette simple plaque de marbre porte les noms des « enfants de Juigné » morts pour la France des différentes guerres depuis celle de 1870-1871 jusqu’à celle d’Algérie. Elle est située sur le mur occidental de l’église du village, à côté du porche (voir ci-dessous).

Le monument aux morts sur la façade de l’église de Juigné-sur-Sarthe, le 11 novembre 2008. Photo B. L.

La liste la plus longue est celle des juignéens morts du fait de la guerre entre 1914 et 1918 : elle compte 42 noms. À une exception près, les noms, chacun précédé de l’initiale du prénom usuel, sont rangés dans l’ordre chronologique des décès. Quoiqu’impressionnante, cette liste ne fait pas de Juigné un village qui, proportionnellement, a eu plus de décès à déplorer que la plupart des autres localités. Ces Juignéens « morts pour la France » représentent 3.6% de la population juignéenne totale en 191110 ; au niveau national, le ratio est d’environ 3.5%. La saignée fut partout importante, à Juigné comme ailleurs.

On peut certes critiquer la fiabilité des listes des monuments aux morts, partout en France. Des Français, après avoir été blessés, sont morts prématurément, une fois chez eux et démobilisés : ils n’eurent pas tous droit à être considérés comme « morts pour la France ». Combien furent-ils à Juigné, ces hommes dont la mort prématurée ne peut être attribuée qu’à la guerre et qui, pourtant, ne purent être pris en considération de manière officielle ? À Juigné, pour l‘un d’entre eux au moins, cela a dû poser problème : son nom figure sur le plus ancien des monuments aux morts, celui qui a été érigé alors que l’émotion était encore très forte, la pression des familles sur la constitution des listes également11. Le second point qui aurait pu permettre d’avoir une liste plus longue sur nos monuments aux morts, si, lors de sa constitution, on y avait inscrit d’office, en plus des morts pour la France domiciliés à Juigné quand ils périrent, tous les morts pour la France, les natifs de Juigné qu’ils fussent ou non résidents sur la commune au moment de leur trépas12. On objectera alors que la mémoire de certains de ces hommes ne serait honorée que dans un village et celle d’autres dans deux communes. Cette présence de certains noms sur des monuments aux morts de communes différentes n’est pas un fait rare en France, le cas se présente même à l’échelle de notre village pour des juignéens qui étaient domiciliés dans une commune plus ou moins lointaine de Juigné alors qu’il semble que pour les résidents de communes proches, celles du canton au moins, les responsables de la constitution du martyrologue communal aient voulu éviter les doublons13.

Néanmoins nous nous prendrons cette liste de 42 noms comme base de départ, quitte à y adjoindre les noms de morts pour la France qui étaient nés à Juigné. Sans doute certains ne furent juignéens que peu de temps dans leur enfance, mais une partie de ceux qui sont honorés sur les monuments aux morts du village n’étaient juignéens que depuis peu au moment de leur décès, voire l’avait été un temps mais ne l’étaient plus. En revanche, parmi de ceux que nous ajouterons à la liste des juignéens morts pour la France, certains avaient en revanche passé le plus clair de leur vie sur le territoire communal.

10 1911 : année du dernier recensement de la population française avant le conflit. Pour la commune de Juigné-sur-Sarthe, il y eut 1 160 individus de nationalité française comptabilisés lors de ce recensement ; ce qui donne une proportion de 3.62 %. La moyenne cantonale, est quant à elle de 3.85 %. Si on inclut dans cette liste les noms de natifs de Juigné qui figurent sur d’autres monuments aux morts et qui pourraient peut-être légitimement figurer sur celui-ci (nous y reviendrons), on obtient une proportion sensiblement supérieure. Mais cette valeur ne peut être comparée avec d’autres données obtenues avec des méthodes différentes.

11 Le monument dont il est question est actuellement situé dans le cimetière, à l’écart du bourg. Cet homme qui ne figure que sur ce monument, en toute fin de liste, s’appelait Henri CHARLES, encore qu’on n’ait aucune certitude pour le prénom. La liste étant organisée de manière chronologique, l’avant dernier étant mort un peu après l’armistice, le décès d’Henri CHARLES fut selon toute vraisemblance encore postérieur. Peut-être survint-il dans des conditions qui interdisaient qu’on le considérât comme « mort pour la France » quand la plaque posée sur la façade occidentale de l’église fut installée.

12 La loi du 25 octobre 1919 relative à ces monuments aux morts et à l’appellation « mort pour la France » indique en effet que pouvait figurer sur le monument d’un commune les natifs de la localité ou ceux qui y avaient leur dernier domicilie connu.

13 Certains juignéens qui ont péri pendant la Grande Guerre sont mentionnés sur plusieurs monuments. C’est le cas de manière certaine pour Marcel BOUDET et Gustave MAUPOINT dont les noms figurent aussi sur les monuments aux morts d’Issy-les-Moulineaux pour le premier et de Poillé-sur-Vègre pour le second.

-3- DÉBUT AOÛT 1914, LA MOBILISATION, LA CONCENTRATION DES TROUPES LE LONG DES FRONTIÈRES.

Le 2 août 1914, partout en France, le tocsin sonnait et les affiches annonçant la mobilisation générale étaient placardées. Mis à part les juignéens qui effectuaient alors leur service militaire14, tous ceux qui l’avaient effectué et qui avait été versés dans la réserve, la territoriale ou la réserve de l’armée territoriale15, ont dû suivre les consignes de leur livret militaire leur indiquant le nombre de jours après celui de la mobilisation auquel ils devraient rejoindre leur unité et précisant le lieu où ils devaient se rendre. Les plus jeunes étaient convoqués le plus tôt, les plus âgés, de 42 à 47 ans, le seraient pour beaucoup, soit un peu plus tard, soit affectés sur place à la réquisition des chevaux ou la garde des voies de communication...

Affiche annonçant la mobilisation générale, le dimanche 2 août 1914 placardée partout en France.
Source : http://www.musee-armee.fr

Cette phase de mobilisation s’est, selon l’autorité militaire, bien déroulée : « pendant ces trois journées [les 2, 3 et 4 août], toutes les opérations de la mobilisation s’effectuent régulièrement, comme elles ont été prévues16. ». Puis il fallut transporter ces troupes là où il était prévu qu’elles rejoindraient la zone frontalière. Juigné comme le reste de la Sarthe se trouvait dans la 4ème Région militaire centrée sur Le Mans. Aussi était-il logique que beaucoup de ces juignéens dussent rejoindre le 117ème Régiment d’infanterie17, son régiment de réserve, le 317ème, le 28ème Régiment territorial d’infanterie ou un régiment d’artillerie ou de cavalerie de cette même 4ème région militaire. La plupart de ces régiments appartenait à la 8ème Division, elle aussi basée sur Le Mans.

TRAJETS, PAR CHEMIN DE FER, DES TROUPES SARTHOISES ET MAYENNAISES
DE LA 4ÈME RÉGION MILITAIRE VERS LES LIEUX DES PREMIERS COMBATS

Source du fond de carte : Atlas Classique Vidal-Lablache, Histoire et Géographie, Paris, Librairie Armand Colin, 1907, p. 76 (Sur wikimédia.org)

Pour la 8ème D. I., à partir du 5 août au matin, des trains partant de Mayenne, Domfront -dans l’Orne-, Laval (pour la 15ème Brigade18), de La Flèche et Le Mans (pour le 117ème R. I.) de Mamers et Nogent-le-Rotrou (pour le 115ème R. I.) devaient transporter ces fantassins dans la région de Verdun. Il fallait aussi transporter l’artillerie divisionnaire, la compagnie divisionnaire du Génie, laquelle partit de Versailles. Au total, ce furent 15 848 hommes, 2 531 chevaux et 36 canons qu’il fallut embarquer et mener à bon port19. Partirent également des unités attachées au 4ème Corps d’Armée : artillerie et cavalerie. Le réseau de chemin de fer faisait converger une partie de ces unités vers la région parisienne avant de les envoyer sur différentes zones de ce qui allait devenir le front. La 8ème D.I et tout le Corps d’armée auquel elle appartenait, le quatrième, devaient rejoindre les troupes de couverture déjà en place au nord et au nord-est de Verdun (voir-ci-dessous).

Croquis joint à l’historique des faits dans le J.M.O. de la 16ème Brigade et présentant les positions occupées par la 16ème Brigade autour du 7 août 1914.
Ne pas tenir compte de l’échelle, la reproduction ci-dessus ayant été réduite par rapport au croquis originel. Verdun est située à environ 20 km au Sud « à vol d’oiseau ». Source : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr , J.M.O. de la 16ème Brigade d’infanterie (premier volume, vue 167) cote : 26 N 500/7

Toutefois, certains seraient conduits d’abord sur la région parisienne dont il fallait assurer les travaux de mise en défense ou dans d’autres secteurs de ce qui deviendrait le front. Il s’agissait respectivement des plus âgés, les hommes des 26ème et 28ème R.I.T. et de ceux qui durent rejoindre un autre régiment, celui de leur département de naissance ou de celui dans lequel ils avaient « fait leurs classes », par exemple le 135ème R.I. basé à Angers.

14 Effectuaient alors leur service militaire les classes 1911, 1912 et 1913, c’est-à-dire les jeunes gens qui étaient nés en 1891, 1892 et 1893, plus ceux, un peu plus âgés, qui, d’abord ajournés, avaient été ensuite reconnus « bons pour le service » et ceux, un peu plus jeunes, qui s’étaient engagés avant l’appel. Beaucoup de ces jeunes hommes du pays sabolien étaient, en 1914, incorporés dans le 117ème Régiment d’infanterie basé au Mans et à La Flèche. Il ne semble pas qu’il y eut alors de juignéens soldats de métier.

15 L’armée de réserve correspondait en théorie à tous les hommes ayant effectué leur service militaire et qui alors appartenaient aux classe 1900 à 1910. Chaque régiment d’active était associé à un régiment de réserve et dont le numéro était obtenu en ajoutant 200 à son propre numéro ; ainsi, le 317ème R.I, celui qui compte le plus de juignéens morts pour la France, était le régiment de réserve du 117ème. L’armée territoriale incorporait, lors de la mobilisation de 1914, les classes 1893 à 1899, pour notre région les régiments concernés étaient les 26ème et 27ème mais surtout le 28ème R.I.T. Enfin la réserve de l’armée territoriale concernait, toujours pour 1914, les hommes des classes 1887 à 1892.

16 Cf. Journal de Marche et des Opération (J.M.O.) de la 8ème Division, celle qui incorpora alors le plus d’hommes du pays sabolien, premier volume (cote : 26 N 284/1), mis en ligne sur le site du S.G.A. du ministère de la Défense (http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr). Chaque Unité, régiment, brigade, division… devait faire un compte-rendu quotidien dans un cahier, c’était le J.M.O.

17 Le 117ème R.I. était le régiment du centre et du sud-ouest de la Sarthe avec sa caserne principale au Mans, la caserne Chanzy, mais il y avait aussi un détachement à La Flèche. D’autre part, dès le début du mois d’août 1914, les rangs des régiments d’active furent complétés en prenant dans les classes les plus jeunes de la réserve. Ainsi, pour la 8ème Division, le J.M.O. du 130ème R.I., régiment basé à Mayenne, précise la composition de son effectif (à la date du 8 août) : sur 3 312 hommes de troupes, 1 721, soit presque 52%, venaient de la réserve. De tels renseignements manquent pour les autres régiments de la 8ème Division.

18 Chaque division était le plus souvent composée de deux brigades lesquelles comptaient en général 2 régiments. Pour la 8ème Division, il s’agissait de la 15ème Brigade et de la 16ème, celle-ci composée des deux régiments « sarthois » : le 115ème R.I, basé à Mamers et le 117ème basé au Mans.

19 Cf. Journal de marches et opérations de la 8ème D.I., première page du premier volume (cote : 26 N 284/1). Notons qu’est alors également parti du Mans le 44ème Régiment d’artillerie de campagne, l’artillerie du 4ème Corps d’Armée : départ le 6 août. Ce furent donc 2 128 hommes, 2 079 chevaux et 48 canons supplémentaires qui, partant du Mans, vinrent grossir le trafic ferroviaire intense de cette première phase du conflit : la concentration des troupes dans la zone des armées.

-4- D’AOÛT À DÉCEMBRE 1914 : DES PREMIERS COMBATS À L’ENLISEMENT, DÉJÀ  LES DEUILS SE MULTIPLIENT À JUIGNÉ

Il n’y eu guère de round d’observation entre l’armée allemande et les armées belge, française et anglaise. Très vite, de très violents combats s’engagèrent. Cela est illustré par le sort de quelques Juignéens. Ce fut d’abord le cas d’Édouard LEMASSON, tué à Houdrigny, près de Virton en Belgique le 22 août 1914, d’Alfred LEPERD, disparu sur le champ de Bataille dans le secteur de Bièvre, également en Belgique, le 23 août 191420 et de Victor SIMON, mort des suites de blessures de guerre dans le Cambrésis le 26 août 1914. Compte tenu des parcours des régiments dans lesquels beaucoup de juignéens étaient incorporés, un certain nombre a dû être engagé dans les combats dits des Batailles des frontières21 ou de la retraite22 en août et au début septembre 1914, ils ont alors, à l’exception de d’Édouard LEMASSON, Alfred LEPERD et de Victor SIMON, échappé à la mort23. Pourtant les combats auxquels ils ont dû participer ont été extrêmement meurtriers. D’ailleurs, un autre natif de Juigné au moins prit part à ces combats, il s’agit d’Isidore DELOUCHE ; il fut grièvement blessé, le 22 août 1914, en Belgique. Né en 1887, instituteur privé dans le civil, notamment à Chinon, à Pontvallain ou au Mans et sergent de réserve affecté dès le 3 août au 117ème R.I., il mourut à l’hôpital du Mans en février 1915 des suites des blessures qui lui avaient été infligées en août 191424. Les unités de la 8ème D. I., pour ne garder qu’elle en exemple, furent tellement éprouvées par ces premiers affrontements qu’elles durent, dès les premières semaines, recevoir des renforts importants pour compléter leurs effectifs25.

Les juignéens payèrent en revanche un lourd tribut pour obtenir la victoire de la Marne26 et lors des combats qui suivirent, jusqu’à la fin de la Course à la mer27. Léon CHADUC, Eugène PORTIER, Léon SALMON tombèrent lors de la Bataille de la Marne. La mort d’Alexis CHEVALIER le 16 septembre dans l’Oise survint quant à elle au cours de la Bataille de L’Aisne. Puis commença la Course à la mer, cette phase de la guerre fut encore fatale à Henri GOUILLET, Auguste MORINEAU et Henri PICARD, entre le début du mois d’octobre et le début du mois de novembre, dans la Somme. Enfin, en décembre, Joseph HOUDOUIN périt en Belgique dans la défense du Saillant d’Ypres et, selon toute vraisemblance, Fernand LEROY trouva la mort dans un secteur où le front était stabilisé depuis un certain temps déjà, à Tracy-le Val (Voir carte ci-dessous).

LOCALISATION DES DÉCÈS DES JUIGNÉENS MORTS POUR LA FRANCE EN 1914

Source du fond de carte : Atlas Classique Vidal-Lablache, Histoire et Géographie, Paris, Librairie Armand Colin, 1907, p. 76 (Sur wikimédia.org)

20 Édouard LEMASSON, qui naquit au hameau des Vignes en 1892 et Alfred LEPERD qui vit le jour à la Petite Roche en 1890, semblent n’avoir été Juignéens que peu de temps, les familles pourraient s’être installées ailleurs dès avant 1896.

21 Le terme Batailles des frontières désigne une série de combats qui opposèrent l’armée allemande aux armées française et belge et au corps expéditionnaire britannique en août 1914 (du 7 au 23). Ces combats s’étendirent sur une ligne qui va du sud de l’Alsace à la Belgique et ils se terminèrent par la retraite des alliés.

22 Période qui, de la fin août au début septembre 1914, vit les armées françaises et leurs alliés battre en retraite pour éviter l’encerclement. Cependant, les armées alliées menèrent ici ou là des combats d’arrière-garde, souvent sanglants pour les deux camps, afin de ralentir l’ennemi et de donner au général en chef le temps de déplacer les troupes qui, plus tard, lui permettraient de reprendre l’offensive. Les unités dans lesquelles se trouvaient de nombreux soldats du pays saboliens, en particuliers le 117ème R. I., furent alors transportées, par train, sur l’aile gauche des armées françaises pour constituer l’armée Maunoury laquelle prendrait une part importante à la Bataille de la Marne.

23 Les juignéens mobilisés étaient-ils alors majoritairement en 1ère ligne et beaucoup échappèrent-ils alors à la mort par chance quand de nombreux sarthois périrent, notamment à Virton le 22 août ? Ou étaient-ils, quoique mobilisés, en réserve pour combler les premières pertes ? On sait qu’au niveau national, 3 600 000 hommes furent mobilisés mais seulement 1 700 000 se trouvaient dans la zones des armées au début du conflit, 700 000 étaient gardés en réserve « immédiate », il en restait 1 200 000 dont l’utilisation était mal définie (Encyclopédie de la Grande Guerre1914-1918, sous la direction de Stéphane Audouin-Rouzeau et Jean-Jacques Becker, éditions Bayard, Paris 2004 ; notamment l’article Jean-Jacques Becker « Prévisions des états-majors et effondrement des plans », pp. 228-229). Notons toutefois que nos recherches en cours pourraient encore nous faire découvrir quelques natifs de Juigné morts au cours de ces premières semaines de guerre.

24 Une courte biographie d’Isidore Delouche sera présentée ultérieurement avec celles des juignéens morts pour la France en 1915.

25 Pour la seule journée du 22 août, les combats de Virton, dans le Luxembourg belge, furent particulièrement meurtriers : le 117ème eut à déplorer 725 officiers et soldats tués, disparus ou blessés ; quant au 115ème R.I., les sources ne recensent pas les pertes du régiment, des mentions éparses dans son J.M.O. permettent d’arriver à un minimum de 230, voire 300, tués, disparus ou blessés. Proportions énormes pour une seule journée de combat quand on pense que l’effectif de chacun de ces deux régiments de la 16ème Brigade tournait autour de 3 300 hommes au début du mois d’août. Et ces deux régiments subirent une nouvelle hémorragie au cours de la retraite du fait notamment des combats des 30 et 31 août à Doulcon et à Montigny, sur la rive gauche de la Meuse … Aussi, dès le 1er septembre le 115ème voit arriver en renfort 850 hommes du dépôt (cf. J.M.O. du 115ème R.I.). Le 130ème R.I. qui avait connu un sanglant baptême du feu le 10 août, reçut quant à lui, dès les 12 et 13 août 1914, 350 réservistes prélevés sur les effectifs des 315ème et 317ème R.I. (Cf. J.M.O du 130ème R.I.).

26 Bataille de la Marne : du 5 au 12 septembre ou du 6 au 9 selon les auteurs, elle mit fin à l’offensive allemande et ruina l’objectif du Grand Quartier Général allemand de pousser la France à la capitulation en quelques semaines.

27 Course à la mer : épisode du conflit qui s’étendit de septembre (après la bataille de Marne) à octobre pour certains auteurs, d’autres le faisant commencer un peu plus tard ou le prolongeant jusqu’au 17 novembre 1914 voire jusqu’en décembre. Au cours de cette phase de la guerre, chaque armée cherchait à déborder l’adversaire, les allemands visant l’enveloppement de l’aile gauche française, les français s’attachant à tourner l’aile droite ennemie. Cette extrémité nord-ouest du front connaissait toujours un type d’affrontement de la guerre de mouvement ; cela se termina en Belgique sur le littoral de la mer du nord. Dans le même temps, plus à l’est ou plus au sud, le front se figeait, les armées s’enterraient.

-5- LES PERMIERS JUIGÉENS MORTS POUR LA FRANCE, QUI ÉTAIENT-ILS ?

Prétendre dire fidèlement ce que vécurent les juignéens combattants, ceux qui périrent au cours de ce conflit ou ceux qui y survécurent est chose impossible. Les témoins qui ont écrit sur leur expérience de combattants sont généralement unanimes là-dessus, ceux qui n’ont pas vécu cette guerre ne peuvent vraiment se rendre compte de ce que fut la vie des combattants. Pourtant, ne rien tenter c’est laisser l’oubli recouvrir un peu plus des noms gravés dans le marbre des monuments aux morts ; aussi incomplète que sera notre évocation elle veut redonner un peu d’humanité à ces noms, raviver la mémoire de ceux qui vécurent sur notre territoire et qui, quoiqu’ils eussent très vraisemblablement préféré vivre en paix, ont dû faire le sacrifice de leur vie.

Aussi, sans prétendre exposer ce que fut exactement leur vie de combattants, nous présenterons dans les lignes qui suivent une courte biographie de chacun des morts pour la France de l’année 1914 : sur leur vie d’avant la guerre et sur leur vie de combattants, pour autant que nous pourrons nous appuyer sur des documents d’archives.

5-1- Édouard LEMASSON, le premier « enfant de Juigné » mort pour la France, tué au cours de la Bataille de Virton

Fiche « mort pour la France » d’Édouard LEMASSON ;
Source : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr

Le premier des juignéens qui périrent au cours de la Grande Guerre, Édouard LEMASSON, n’a son nom sur aucun des monuments aux morts de la commune, il résidait probablement au Mans au moment de son décès mais il était natif de Juigné. Il naquit en effet au hameau des Vignes28, le 31 juillet 1892. Quoique mentionné comme journalier lors du recensement de 1891 (mais déjà comme débitant en 1886), son père est déclaré comme cafetier sur son acte de naissance. Sa mère, Marie Leballeur, était également cafetière. Ses père et mère s’étaient mariés à Avoise et ils avaient alors respectivement 36 et 28 ans. Une fille de huit ans vivait aussi dans ce foyer. Il semble que la famille ne soit pas restée très longtemps sur Juigné, on ne la retrouve plus lors des recensements suivants. Il semble aussi qu’une partie de la parentèle continua à vivre sur le territoire communal29.

En 1912, au moment de passer devant le conseil de révision, Édouard LEMASSON, vivait à Sablé, il était employé de banque. Il fut incorporé au 117ème R.I. en octobre 1913. Au moment de la mobilisation générale le 1er août 1914, il appartenait à ces classes d’âge de l’armée d’active, donc déjà sous les drapeaux30.

Il dut donc partir dès le 5 août pour le Verdunois. Pour lui, comme pour ses compagnons d’armes, cela s’est d’abord traduit par des marches, des travaux de mise en défense de secteurs au pied des Côtes de Meuse. Le 10 août, le canon et les mitrailleuses ont sans doute donné dans le secteur, à Mangiennes, mais ce fut un autre régiment de la 8ème Division, le 130ème, qui subit alors son baptême du feu, une charge, baïonnette au canon, fauchée par les mitrailleuses allemandes : les hommes du 117ème ne purent guère que voir les blessés refluer vers leurs positions.

Puis l’ensemble de la 3ème Armée se dirigea vers le nord. Le 22 août, les hommes de la 8ème Division avaient pénétré en territoire belge dans la région de Virton (à une dizaine de km de la frontière française et environ à 25 km à l’ouest de celle du Luxembourg). D’abord à l’abri et en réserve à l’ouest de Virton, le 117ème ne participa pas aux premiers engagements, meurtriers pour l’armée française. Il reçut l’ordre à 9 heures de se porter encore plus au nord entre Virton et Houdrigny, pour prendre de flanc l’ennemi qui mitraillait d’autres unités de la division. Mais, lui aussi, quand il déboucha sur le plateau au Nord-ouest de Virton, fut reçu par le feu de mitrailleuses dont les servants bien dissimulés ne craignaient rien des lebel français. Aux balles des mitrailleuses vinrent bientôt s’ajouter les obus de l’artillerie allemande. Jusqu’au soir, le combat fut difficile, meurtrier. A 16 h 20 déjà, le colonel commandant le 117ème avisait l’état-major de la brigade que « tout le régiment est engagé, que les pertes sont nombreuses et qu’il n’a plus aucun soutien ». Pourtant ordre fut donné de tenir la position pour couvrir le repli d’autres unités de la division. Un bataillon du 117ème tenta même une charge qui fut arrêtée à peu de distance des lignes allemandes. À 20 heures, sa mission terminée, ce qui restait du régiment put se replier.

Position du 117ème R.I. (entouré en rouge) avant son engagement dans la bataille.
Source : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr

Le lendemain, sur cette partie du champ de bataille comme pour les corps d’armée voisins commenceraient la retraite. Pour le 117ème comme pour les autres unités les pertes furent très élevées : 725 officiers, sous-officiers et hommes de troupes tués, disparus ou blessés31. Édouard LEMASSON était de ceux qui avaient péri, il avait tout juste 22 ans32. C’est sur le registre d’état civil du Mans que son décès fut retranscrit.

28 Hameau le plus proche du bourg, l’un de ceux qui comptait un certain nombre de commerces ou d’artisans.

29 Sources : documents mis en ligne par les archives de la Sarthe (acte de naissance, listes nominatives des recensements) : http://www.archinoe.net/cg72.

30 Source : Fiche matricule : http://www.archinoe.net/cg72.

31 Renseignements tirés essentiellement des J.M.O. de la 16ème Brigade et de la 8è Division (Site Mémoire des Hommes).

32 La fiche matricule d’Édouard LEMASSON est très vague sur les conditions et le lieu du décès : elle indique seulement « décédé à Houdrigny, antérieurement au 2 août 1915 », or le seul moment où le 117ème R.I. se trouva à Houdrigny entre la déclaration de guerre et le 2 août 1915, ce fut le 22 août 1914, au cours de la Bataille de Virton. La fiche mort pour la France indique d’ailleurs bien Virton comme lieu du décès et le 22 août 1914 pour la date.

5-2- Alfred LEPERD, second juignéen fauché lors de l’offensive française en Wallonie d’août 1914

Fiche « mort pour la France » d’Alfred LEPERD.
Source : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr

Comme Édouard Lemasson, ce natif de Juigné qui périt au cours du conflit ne fut juignéen que brièvement. Son nom est également absent des monuments aux morts du village. Il s’agit d’Alfred LEPERD. Il vit le jour le 17 décembre 1890 à la Petite Roche, lieu-dit dominant la Sarthe à l’extrême sud-ouest du territoire communal. Il était issu d’une famille modeste, son père était mineur, alors âgé de 23 ans, il ne savait pas signer ; sa mère était, selon l’acte de naissance, ménagère ; elle avait 25 ans33. La liste nominative du recensement de 1891 nous apprend qu’Alfred LEPERD avait un grand frère aîné, Édouard. Il semble que la famille ait quitté le village entre 1891 et 1896. L’activité minière connaissait alors il est vrai une période d’étiage important34.

On ne retrouve Alfred LEPERD qu’au moment où il passa devant le conseil de révision : en 1910. Alfred LEPERD était alors terrassier et résidait à Angers. Il avait un très petit niveau d’instruction. Sans doute en raison de sa taille modeste, 1,54 m, il fut incorporé chez les chasseurs à pied. Il intégra d’abord le 9ème Bataillon de Chasseurs à pied, basé à Longuyon et Longwy ; il y resta d’octobre 1911 à juillet 1913. Il fut ensuite affecté au 15ème B.C.P., basé à Remiremont, jusqu’à la fin de son service militaire, le 8 novembre 1913. Il fut ensuite affecté à la réserve du régiment d’infanterie basé à Angers.

Il s’installa à Trélazé en avril 1914. Mais il ne profita pas longtemps de la vie civile. Dès le 3 août 1914, il avait rejoint son unité. Il fut affecté au 135ème (et non au 335ème), sans doute pour compléter les effectifs du régiment d’active35. Le 5 août, le régiment fut conduit dans la région de Nancy. Avec sa division, la 18ème, il intégrait le 9ème Corps d’Armée. Les premiers jours furent occupés à prendre position, à des exercices et à la mise en défense d’un secteur au nord de Nancy.

Puis, le 19 août, le régiment fut retiré de cette partie du front, où il n’avait pas encore été amené à se battre, pour être dirigé en train sur Sedan. De là, on marcha vers le nord. Le 22 au soir les hommes étaient à Bièvre et dans ses environs, en territoire belge36. Mais, dès le 23, ils furent pris à partie par l’armée ennemie. La puissance de son artillerie, son emploi méthodique balayant systématiquement le terrain occupé par les français firent des ravages et ne laissèrent d’autre alternative que la retraite. Quoique celle-ci se fît en bon ordre, ce fut quand même toujours sous le feu, ce qui alourdit encore le bilan de cette terrible journée : 17 officiers et « près de 1 500 sous-officiers et hommes de troupe »37 étaient tués, blessés ou disparus. Alfred LEPERD était au nombre de ces derniers, il avait 23 ans.

Son décès fut officiellement fixé au 23 août 1914 par un jugement déclaratif du tribunal civil d’Angers rendu le 21 janvier 1921. L’acte de décès fut ensuite retranscrit sur le registre d’état-civil de Trélazé38.

33 La Liste nominative du recensement de 1891 la désigne comme lingère.

34 Sources : documents mis en ligne par les archives de la Sarthe (actes de naissance, listes nominatives des recensements) : http://www.archinoe.net/cg72.

35 Source : Fiche matricule : http://www.archinoe.net/cg72.

36 Dans les Ardennes, à une soixantaine de km au Nord-ouest de Virton et à une dizaine de km à l’est de la frontière française (région la plus septentrionale de la vallée de la Meuse en France).

37 Sources : J.M.O. du 135ème Régiment d’infanterie (site Mémoire des hommes : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr. , cote : 26 N 689/5).

38 La commune de Trélazé a refusé d’ériger un monument aux morts (en 1921). Le conseil municipal d’alors a en effet estimé qu’une telle construction n’aurait pas œuvré pour la paix mais qu’elle aurait perpétré la haine des allemands et porté les germes d’un nouveau conflit. Il y a bien une plaque dans l’église mais la liste des morts y est bien incomplète. En 1947, la décision fut prise d’avoir un monument communal, mais il ne porte aucun nom. Source, notamment : http://www.ouest-france.fr (article mis en ligne le 07/12/2013) et http://www.memorial-genweb.org.

5-3- Victor SIMON, quoique relativement âgé dut lui aussi faire le sacrifice de sa vie

Fiche « mort pour la France » de Victor SIMON.
Notons qu’il est indiqué Étrun en Allemagne comme lieu de décès. Nos recherches nous conduisent à y voir une imprécision, il s’agit d’Estrun, au Nord de Cambrai. Estrun était aux mains des allemands au moment où Victor Simon rendit son dernier souffle. Cette imprécision se retrouve dans la rédaction d’autres fiches « Morts pour la France » de Sarthois incorporés au 28ème R.I.T et qui connurent le même sort que Victor SIMON. En revanche certaines sont plus explicites, par exemple celle du fléchois Louis Alexandre Bourmault qui mourut le lendemain dans « l’hôpital du 11ème Corps d’Armée allemand » qui se trouvait à « Étrun ». Source : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/m00523a00f09c734

Victor SIMON fut le troisième juignéen mort pour la France. Il naquit en 1879 au Bas-Boulay. Ce lieu-dit est situé aux confins méridionaux du territoire communal de Précigné, au pied de la petite colline au sommet de laquelle se trouve le village de Notre-Dame-du-Pé. Ses parents étaient cultivateurs.

Après son service militaire qu’il effectue au 26ème Bataillon de Chasseur à pied, de septembre 1900 à septembre 1903, Victor SIMON s’établit dans plusieurs communes, probablement comme aide de culture39.

En 1914, Victor SIMON était juignéen de fraîche date : il était encore déclaré comme agriculteur à Précigné au moment de son mariage, à Juigné, en novembre 191140.

Quoique marié depuis peu, peut-être père d’enfants en bas âge, ce fut malgré tout un « pépère »41 qui partit pour le front en août 1914, il avait 35 ans. Sans doute dès les premiers jours d’août, il a rejoint les rangs du 28ème R.I.T., il y était soldat de deuxième classe42.

Quittant Le Mans plus tard que les soldats plus jeunes, le 13 août, son régiment fut d’abord transporté en train dans la région parisienne et utilisé à des travaux de mise en défense de la capitale. Puis, toujours par le rail, le 28ème R.I.T. fut conduit dans la région de Douai où il débarqua le 18 août.

Avec d’autres unités (notamment le 27ème R.I.T. avec lequel il formait la 168ème Brigade), ce régiment participait à la constitution d’un nouveau groupe d’armées, le Groupe d’Amade43. Celui-ci, était donc composé de troupes qui, aux yeux même du G.Q.G.44, n’avaient pas une valeur militaire de premier ordre. Après avoir manœuvré jusqu’à l’ouest d’Arras, le Groupe d’Amade devrait pourtant s’opposer au déferlement de l’aile droite de l’armée allemande, élément essentiel du dispositif ennemi pour vaincre la France avant que la Russie ne fût pleinement opérationnelle et qui, en conséquence, était composée de troupes d’élite beaucoup plus nombreuses et mieux équipées45. Le 22 août, le 28ème Régiment Territorial reçut la mission d’empêcher le passage de la Scarpe à Estrun et Paillencourt, au nord-nord-est de Cambrai. Dès le 25, le contact avec l’ennemi ne concernait plus seulement des patrouilles d’avant-garde ou de reconnaissance, le 28ème R. I. T. avait face à lui des forces qui lui étaient supérieures. Le 26, « attaqué par des forces allemandes considérables et dotées d’une puissante artillerie», les combats devinrent encore plus intenses et le 3ème bataillon surtout subit de lourdes pertes46. Il ne put cependant stopper la progression ennemie. Il fallut battre en retraite, du moins ceux qui le pouvaient encore, Victor SIMON n’était pas du nombre. C’est très vraisemblablement soit au cours des combats du 25 soit le lendemain que Victor SIMON reçut la ou les blessures auxquelles il succomberait le 26, dans un hôpital militaire allemand.

Secteur des combats qui ont coûté la vie à Victor Joseph SIMON Carte « d’État-Major » du nord de la région de Cambrai (http://www.geoportail.fr)

Carte « d’État-Major » du nord de la région de Cambrai (http://www.geoportail.fr).
En pointillé bleu tracé approximatif de la ligne de défense tenue par le centre et l’aile droite du 28ème R.I.T.. Cerclé en rouge, le secteur où les affrontements ont été les plus violents et où se trouvait Victor Simon

Une dernière question se pose s’agissant de Victor SIMON : quand sa famille apprit-elle son décès ? On sait qu’au début du conflit, les informations sur les hommes morts au combat ou des suites de leurs blessures, sur ceux qui avaient été fait prisonniers tardèrent à parvenir à leurs proches. L’armée elle-même ne put considérer que certains disparus devaient être considérés comme morts et non prisonniers qu’après l’armistice. Toujours est-il que le décès de Victor Simon, ce premier mort pour la France sur les monuments aux morts juignéens, ne fut transcrit à l’état civil de Juigné que le 1er mai 1920, après un jugement rendu le 20 avril de la même année.

39 Source : Fiche matricule (http://www.archinoe.net/cg72v2). L’incorporation dans un régiment de chasseurs s’explique sans doute par la petite taille de Victor SIMON, 1,56 m. Cette fiche matricule indique que Victor SIMON aurait été cultivateur mais le fait qu’il n’ait pas eu de résidence stable milite plutôt pour une situation d’aide de culture ayant connu différents employeurs dans plusieurs communes du canton de Sablé. Pour ce qui est des communes dans lesquelles le jeune homme s’installe, il y eut Notre-Dame-du-Pé, Précigné, Vion, Parcé et enfin Juigné en Janvier 1912.

40 Cf. registre d’état civil de Juigné-sur-Sarthe, archives communales.

41 Terme mi moqueur mi affectif était utilisé par les soldats des classes plus jeunes pour désigner leurs aînés de la territoriale.

42 On distinguait parmi les non gradés les soldats de deuxième classe et les soldats de première classe, cette distinction qui reconnaissait le mérite de certains de ces hommes du rang n’était pas un grade, mais c’est parmi eux qu’on choisissait ceux qui accèderaient au grade de caporal.

43 Le Groupe d’Amade était composée de divisions territoriales, les 81ème, 82ème et 83ème Divisions territoriales, la 168ème Brigade se trouvant dans cette dernière. La 88ème Division territoriale puis les 25ème et 62ème Divisions de réserve allaient, le 23 puis le 25 août grossir cet effectif. Notons que les soldats de la Territoriale étaient en 1914 considérés comme trop âgés et insuffisamment entraînés pour se voir confier les mêmes missions que les soldats d’active ou de la réserve ; aussi, ils n’étaient pas censés se trouver en première ligne, mais devaient être chargés de travaux derrière les lignes, de garde, etc.

44 Grand Quartier Général.

45 Le Groupe d’Amade avait en effet face à lui une partie de l’aile droite allemande qui devait, après avoir traversé la Belgique, déborder les armées françaises sur leur gauche. Le plan allemand, dit Plan Schlieffen, comptait sur cette manœuvre d’enveloppement pour venir à bout de l’armée en française en six semaines. Pendant ce temps, les russes ne devaient pas présenter, d’après les stratèges allemands, un réel danger du fait de la lenteur de leur mobilisation.

46 D’après l’Historique du 28ème Régiment d’infanterie territoriale (anonyme, date inconnue), celui-ci évoque pour ce jour et vraisemblablement pour l’ensemble du régiment des pertes s’élevant à 4 officiers et 350 hommes. Ouvrage consultable sur http://gallica.bnf.fr.

5-4- Bataille de la Marne : le premier des trois juignéens qui y perdirent la vie, Léon CHADUC, mourut dans le Verdunois

Fiche « mort pour la France » de Léon CHADUC.
Notons qu’il est bien mentionné comme natif de Juigné, dans la Sarthe, mais que son décès fut enregistré à l’état civil de Courcelles a Forêt
Source : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr

Le quatrième juignéen mort pour le France n’a pas son nom sur les monuments aux morts du village, cependant nous l’intégrons ici parmi les juignéens morts pour la France durant la Grande guerre. En effet, Léon CHADUC était natif de Juigné et il y vécut au village de 1885 à 1911 au moins. Léon Justin Maximien CHADUC naquit à Juigné, dans le secteur des Places, le 29 mai 1885. Son père, Guillaume Chaduc, alors âgé de 46 ans était propriétaire. Sa mère Renée Marie Picouleau avait 40 ans. Ses parents s’étaient mariés à Juigné le 20 octobre 186147. Une partie de la parentèle vivait aussi sur le village.

Au recensement de 1886, la famille habitait toujours le secteur des Places. Le père était déclaré comme cultivateur. Léon CHADUC était le dernier né de la famille, deux grandes sœurs âgées respectivement de 18 et 15 ans étaient alors encore domiciliées au foyer familial48. D’après les recensements suivants, la famille restait sur Juigné, toujours dans le secteur des Places. Léon quitta le foyer parental entre 1896 et 1901 mais il continua à vivre sur le territoire communal. On le retrouve sur la liste nominative de 1901, aide de culture chez Victor Ragot, cultivateur sur le secteur de la Jambellière49, puis en 1906 chez son beau-frère Henri Fortin, dans le secteur du bourg et à nouveau chez Victor Ragot, toujours aide de culture en 1911. Entre temps, Léon CHADUC effectua son service militaire, au 124ème R.I., d’octobre 1907 à septembre 1909. Léon CHADUC se maria le 22 avril 1912, au Lude, avec Marie Creton. En 1913, le couple s’établit à Saint-Jean-du-Bois, puis à Courcelles-la-Forêt, où il semble que Léon CHADUC trouva un emploi au service du châtelain de Vadré.

Léon CHADUC fut mobilisé dans le 324ème R.I., le régiment de réserve du 124ème50. Il rejoignit son corps le 4 août 1914. Au moment du départ vers la zone des armées, son régiment comptait 36 officiers, 140 sous-officiers et 2 079 hommes de troupes. Le J.M.O. de ce régiment n’indiquant aucun apport de renforts avant la mort de Léon CHADUC, on peut donc penser que celui-ci était dans ses rangs dès la phase de mobilisation.

Le 324ème R.I. constituait avec le 330ème R.I. (basé sur Mayenne) la 108ème Brigade, laquelle, avec les 302ème et 303ème R.I (107ème Brigade) constituaient la 54ème Division de réserve51. Au moment de son décès au moins, le 7 septembre 1914, Léon CHADUC appartenait à la 19ème compagnie, donc au 6ème bataillon52.

Le 324ème quitta Laval les 9 et 10 août pour la région de Verdun qu’il rejoignit le 11. Il cantonna d’abord à Bras-sur-Meuse et à Vacherauville (au nord de Verdun). Étant en réserve du 4ème Corps d’armée, la 54ème division de réserve passa les jours suivants à faire mouvement vers les Côtes de Meuse puis dans la Woëvre, à y cantonner ici ou là et à y renforcer les travaux de mise en défense du terrain. À partir du 21 août, on fit route vers le Nord, continuant à s’inscrire dans le mouvement général du 4ème Corps d’Armée et plus généralement de la 3ème Armée. Le 22, les hommes des régiments d’active du 4ème Corps d’Armée allaient subir un échec sanglant à Ethe et à Virton, dans la province du Luxembourg belge. Le 324ème R.I. qui le matin était nettement plus au sud-sud-est, à Mouaville, en Meurthe-et-Moselle, reçut l’ordre suivant : « la 3ème Armée continuant sa marche en avant, la 54ème Division de réserve s’établira sur le front Spincourt-Étain […] en vue de contre-attaquer tout ce qui déboucherait de Briey [donc venant de l’est] ». Le Régiment marcha donc vers le nord-nord-ouest jusqu’à Senon, après une vingtaine de km. Ce village fut atteint à 9 heures. Dans la soirée, le régiment se porta un peu plus au nord (une dizaine de km, à la Ferme de la Folie, au Sud-est de Spincourt). Le 23, le régiment reçut l’ordre de se mettre en position d’alerte dans le secteur de Vaudoncourt (pour parer à une tentative d’encerclement des forces qui, plus au nord, entamaient leur retraite). Il fallait défendre à tout prix ce secteur de Spincourt. Pour les hommes de la 54ème Brigade, le 24 août fut le jour de leur baptême du feu, le 6ème bataillon se trouvait entre Spincourt et la ferme de Rampont (sur un front d’environ 1.5 km). Dès le début de l’attaque, la marche en avant des hommes du 324ème se fit sous le feu des batteries allemandes, puis des mitrailleuses. Comme partout ailleurs sur le front, les hommes étaient confrontés à la supériorité de l’armée allemande en ce qui concernait le nombre et le calibre des canons et le nombre ou l’utilisation des mitrailleuses. Ils payaient leur infériorité matérielle au prix du sang ! Aussi, il fallut se replier, à la suite de quoi le général de brigade ordonna une contre-attaque, laquelle échoua également. Dans la nuit, la canonnade obligea même les troupes qui occupaient Spincourt à l’évacuer. Les pertes étaient lourdes : environ 320 hommes étaient hors de combat, soit 14.2% de l’effectif initial du régiment ; si le nombre des tués était limité (mais combien mourraient ensuite des suites de leurs blessures ?), les cadres avaient été particulièrement touchés : un chef de bataillon et deux capitaines tués, un chef de bataillon, 2 capitaines, 5 lieutenants et 18 sous-officiers blessés. Quant à la troupe, elle ne déplorait que 14 tués53 mais on dénombrait environ 230 blessés dans ses rangs. Louis CHADUC avait survécu. Mais ce que ne dit pas le J.MO. du régiment c’est combien ces journées ont été épuisantes pour Louis Chaduc et ses compagnons d’armes (marches et contre-marches, avec le barda sur le dos54, travaux de mise en défense, manque de sommeil…). Il ne dit pas non plus le désarroi qu’a dû causer le fait que face au mur de feu des canons et des mitrailleuses, l’esprit offensif français, tant vanté par les experts militaires ou les stratèges de salon, ne pouvait pas grand-chose.

Ensuite, pour le 324ème comme pour le reste des armées françaises ce fut la retraite. Pour les hommes du 324ème elle commença même de nuit sur Vaudoncourt et Loison, en même temps qu’on reconstituait le régiment ; puis après un court bivouac, reprise de la marche vers Azannes et les jumelles d’Ornes (le J.M.O. ne précise pas l’itinéraire mais cela a dû représenter une quinzaine de km). On s’y prépara à recevoir l’ennemi. Une partie de la journée du 26 fut consacrée à ces travaux, mais vers 17 heures, il fallut à nouveau reprendre le mouvement de retraite vers Lacroix-sur-Meuse, Lomorville (ce qui imposait une longue marche de nuit (une cinquantaine de km). Le 28, repos à Lamorville. Le 29, on remonta un peu vers le nord-nord-est (un quinzaine de km) vers Ambly-sur-Meuse. Le 324ème Cantonna à Ranziére, village situé légèrement à l’est. Le 30, l’ennemi semblant temporiser, le régiment poursuivit son mouvement vers le nord et alla cantonner un peu au sud-ouest de Verdun55 (ordre donné à 14 heures, arrivée à 20 heures, après une vingtaine de km). Le 31 août, le J.M.O. du régiment note « la 3ème armée prenant l’offensive vers le nord-ouest, appuyée en arrière et à droite par le 3ème groupe de divisions de réserve, […] la 54ème Division de réserve est portée vers Esnes, Motzéville par Verdun, Fort la Chaume, Formeréville, Béthelainville. Le 324ème forme l’avant-garde de la colonne de division. Cantonnement à Motzéville [au sud d’Esnes] ». Ce fut donc pour ce 31 août une marche d’environ 18 km. Le 1er septembre, toujours pour accompagner le mouvement d’autres unités de la 3ème armée, la division se porta encore plus au nord, sur Béthincourt, après une marche d’environ 8km. À 14 h 20, l’ordre fut donné d’attaquer, vers le nord-est. Ce furent les 303ème et 330ème qui furent mis à contribution. Quoiqu’en réserve de division, le 324ème comme il se dirigeait vers Gercourt, fut sous le feu de l’artillerie allemande. Le 5ème bataillon reçut ensuite l’ordre de soutenir les 303ème et 330ème R.I., le combat se poursuivit jusqu’à la nuit. Celle-ci permit un repli des troupes françaises, le 324ème alla bivouaquer à Esnes, 5 km plus au sud. Le 2 septembre, le bataillon quitta Esnes pour aller cantonner quelques km plus au sud, à Montzéville. Pour le 3 septembre, J.M.O., laconique, indique : « Départ du cantonnement de Motzéville à 5 h 15. Cantonnement à Souhesme-le-Grande (Meuse) ». L’itinéraire suivit fut : Montzéville, Dombasles-en-Argonne, Rampont, Souhesme, ce qui représente environ 17 km. Le 4 septembre, la 108ème Brigade passe sous les ordres du Gouverneur de Verdun56, qui lui intime l’ordre de se rendre à Haudainville, Soit environ 17 km vers le nord-ouest par l’itinéraire Lempire, Landrecourt, Dugny, Belleray, Haudainville. Le 5 septembre fut une journée de repos dans le cantonnement d’Haudainville. Pour le 6 septembre, le J.M.O. commence par noter : « Départ d’Haudainville par alerte à 5 heures pour participer à l’attaque d’un corps d’armée de réserve allemand qui marche en 3 colonnes et poursuit la 3ème armée dans son mouvement vers le sud. Le but est de l’acculer à l’Argonne pour le mettre hors de cause ». Les hommes se portèrent sur Nixéville par Belleray et le Fort de Regret. À Nixéville, les deux bataillons furent envoyés un peu plus à l’ouest avec ordre de faire face au nord-ouest. Le 6ème bataillon, celui de Louis CHADUC, passa la nuit au Bois de Placy. Le 7 eut lieu pour les hommes du 324ème un des nombreux combats qui sur un front de plus de 300 km seraient rapidement réunis sous le terme de Bataille de la Marne. Ici comme ailleurs, les allemands, quoique surpris par ce retour offensif d’une armée qu’ils pensaient en déconfiture, se montrèrent extrêmement combatifs. En effet, très vite le 5ème bataillon qui s’était porter vers la route Rampont – Ville-Sur-Cousance subit de lourdes pertes, à nouveau surtout du fait de l’artillerie allemande, il dut se replier ; le J.M.O. du 324ème Note « les débris se rassemblent à Nixéville ». Deux compagnies du 6ème bataillon qui devaient soutenir l’assaut du 311ème sur Villeneuve-sur-Cousance durent elles aussi se replier. Les deux dernières compagnies, gardées en réserve furent semble-t-il moins éprouvées. À l’issue de ces combat, le régiment se reforma à Nixéville, et bivouaqua en partie çà Nixéville et en partie à Saint-Frix. Le combat continuerait le lendemain, mais sans Léon CHADUC. La liste nominative des pertes pour ce 7 septembre dans le J.M.O. -242 hommes hors de combat !- le comptabilise parmi les disparus, sa fiche « Mort pour la France », indique « tué à l’ennemi » à Julvécourt ce 7 septembre 1914, à un peu moins de 10 km à vol d’oiseau au sud-ouest de Nixéville. Expira-t-il lui aussi comme prisonnier dans une structure médicale, poste de secours ou ambulance, allemande ?

Situation le 7 septembre en fin de journée, le 324ème s’est battu à l’extrême droite du front représenté ci-dessus, dans les troupes assurant la défense de Verdun.
Source : http://1914ancien.free.fr/3e_4earm.htm

Léon CHADUC mourut donc dès le premier jour de la Bataille de la Marne, après avoir déjà vécu deux combats qui s’étaient soldés par des échecs. Quoique sur son théâtre d’opération la défaite allemande fut loin d’être évidente, surtout en ce 7 septembre 1914, son sacrifice contribua à sauver le pays de l’invasion. Il avait 27 ans, laissait une veuve, peut-être un ou deux enfants en bas âge. Après la guerre, ce fut à Courcelles-le-Forêt, dans le canton de Malicorne qu’on choisit d’honorer sa mémoire ; son nom figure en effet sur le monument aux morts de ce village.

47 Source : acte de naissance du registre d’état civil de Juigné, Archives départementales de la Sarthe (cote : N 1863-1892-Cote 5MI 162_15, documents en ligne sur http://www.archinoe.net/cg72). Le hameau des Places est l’un des écarts du village situé à l’est du bourg.

48 Pour les renseignements de ce paragraphe, nous avons d’abord utilisé les listes nominatives des recensements de Juigné, Source : Archives départementales de la Sarthe (cote : 2 MI 289 _84-1836-1901, documents mis en ligne sur : http://www.archinoe.net/cg72v2). Nous avons aussi utilisé la fiche de matricule militaire de Léon CHADUC (Source : http://www.archinoe.net/cg72v2/visu_affiche.php?PHPSID=251f3eece5a848121ed72546d06fd6c1¶m=visu&page=1)

49 Secteur situé au nord du bourg.

50 Le 124ème R.I. et son régiment de réserve, le 324ème, étaient des unités lavalloises.

51 Jusqu’à la fin août seulement, ensuite le 324ème fut intégré avec le 330ème à la 72ème Division de réserve.

52 Les régiments de réserves ne comptaient que 2 bataillons (et non trois comme les régiments d’active), ils étaient numérotés 5 et 6 (les numéros 1 à 4 étant donnés aux bataillons du régiment d’active correspondant).

53 En comptant trois hommes qui figurent dans la liste nominative des blessés mais pour lesquels on lit en mention marginale « inhumé au cimetière de Spincourt » et qui donc succombèrent très vite à leur blessures.

54 Le sac avec tout l’équipement du fantassin le conduisait à porter une charge d’environ 30 kg !

55 C’est du moins l’indication du J.M.O., je lis plutôt Belleray, situé plus franchement au sud.

56 Il semble qu’elle ait alors intégré la 72ème Division de réserve.

5-5- Bataille de la Marne, la famille PORTIER perd le premier des deux fils que lui prendra cette guerre, Eugène PORTIER :

Fiche mort pour la France d’Eugène PORTIER.
Source : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/m005239fcb40b171

Eugène PORTIER, le cinquième juignéen mort pour la France, était natif du village. Il y vit le jour, le 23 août 1882, dans le petit hameau des Vignes un peu au nord du bourg. Son père était meunier57, sa mère journalière58.

Eugène PORTIER effectua son service militaire de novembre 1903 à Septembre 1904 dans le 103ème Régiment d’infanterie, basé à Alençon. Il se retira ensuite à Juigné où il était, en 1906, aide culture. Eugène PORTIER se maria, toujours au village, en 1909, il était alors toujours aide de culture. Telle était encore sa condition, ainsi que celle de son épouse, lors du recensement de 1911 ; ils résidaient alors dans le secteur des Places59 et n’avaient alors, semble-t-il pas d’enfants.

Quoique la mobilisation générale prît effet le 2 août 1914, Eugène PORTIER n’eut à rejoindre son unité, le 117ème R.I, qu’un peu plus tard, le 10 août. Il dut même rester quelque temps au dépôt puisqu’on ne le retrouve « aux armées » qu’à compter du 25 août60. Il rejoignit donc une troupe qui retraitait depuis la Belgique où elle avait été durement éprouvée le 22 août à Virton. Mais il fallait au cours de cette retraite mener des combats d’arrière-garde, retarder l’ennemi et donner au général en chef des armées françaises la possibilité de concentrer des troupes ailleurs pour reprendre l’initiative. Le 31 août 1914, le 117ème dut mener l’un de ces combats à Montigny, sur la rive gauche de la Meuse, il y laissa de nombreux morts et prisonniers. Les 1er et 2 septembre le 117ème R.I. et tout le 4ème Corps d’Armée fut retiré du front et conduit en train dans la région parisienne. Ils étaient dès lors à la disposition de l’armée MAUNOURY61. Eugène PORTIER allait être engagé dans la Bataille de la Marne..

Pourtant, le début de cette grande bataille, peut-être son baptême du feu, s’est d’abord traduit pour lui par de longues heures de marches : cantonnée au nord-ouest de la capitale, le 6 septembre peu après 2 heures du matin, la 8ème Division reçut l’ordre se rendre, à pied, à l’est-sud-est de Meaux pour appuyer le corps expéditionnaire britannique qui se battait sur la droite de l’Armée Maunoury62. Les armées alliées avaient cessé de battre en retraite et passaient à l’offensive. Des unités de pointe de l’armée allemande avaient alors atteint ce qui serait le point extrême de son avancée, sur le Grand Morin, une position aventurée. La 8ème Division fut envoyée sur la rive droite de cette rivière. Alors que, nettement plus au nord, le reste de l’armée Maunoury devait tenter de déborder l’aile droite de l’armée allemande, avec la 7ème Division, l’autre division du 4ème Corps d’armée, dont une partie devait s’illustrer en utilisant les fameux Taxis de la Marne. La 8ème Division n’eut quant à elle, au dire de certains chroniqueurs, qu’un rôle modeste. Elle avait devant elle le XIème Corps d’armée allemand qui remontait vers le nord à marche forcée pour soutenir le IVème Corps de réserve menacé d’encerclement. L’action de la 8ème Division devait contribuer à soulager le reste de la VIème armée, voire à rendre plus offensif le commandement du corps expéditionnaire britannique sur sa droite.

Situation du front au début de la Bataille de la Marne
Source : http://1914ancien.free.fr, « La bataille de L’Ourq [combats les plus occidentaux de la Bataille de la Marne] du 8 au 10 décembre 1914, vue par José Soussel-Lépine ». Encerclé en rouge, la zone où se battit la 8è Division le 8 septembre1914.

Les J.M.O., indiquent que pour le 8 septembre, les armées françaises et anglaises qui se battaient au sud de la Marne eurent à faire face à de l’artillerie ennemie qui protégeait la retraite. La fiche mort pour la France d’Eugène PORTIER indique qu’il fut « tué à l’ennemi » ce jour-là  à Germigny- l’Évêque63. Le sacrifice d’Eugène Portier s’inscrit donc dans ces heures cruciales qui virent s’éloigner le risque d’invasion du pays. Il avait 32 ans. Il avait encore au moins un frère sous les drapeaux.

57 Par meunier, il faut ici comprendre employé au Moulin.

58 « Meunier », à Juigné autour de 1900, c’est être employé dans le grand moulin, le second site de minoterie du département.

59 Section la plus à l’est du village qui comptait le hameau des Places mais aussi d’assez nombreux écarts isolés.

60 Cf. sa fiche matricule (http://www.archinoe.net/cg72v2). Son âge laisse en effet supposer qu’il pourrait avoir été incorporé au 117ème R. I. après les premiers combats, pour compenser les pertes que le régiment avait déjà subies (voir ci-dessus).

61 La retraite française fut plutôt bien maîtrisée ; le généralissime Joffre put même déplacer des troupes à proximité de Paris : l’Armée Maunoury qui allait devenir la 6ème armée qui jouerait un rôle très important dans la Bataille de la Marne.

62 Le J.M.O. de la 16ème Brigade indique ce parcours pour rallier ses positions de combat, contournant la capitale du nord-ouest vers le sud-est, on peut l’estimer à une cinquantaine de km en 24 heures.

63 Il semble que ce jour-là, aucun élément de la 16ème Brigade n’ait pas atteint Germigny-l’évêque même (d’après le J.M.O. de la Brigade). Cependant il y eu bien des combats dans lesquels des éléments de la 16ème Brigades furent impliqués dans les Bois de Meaux dont une partie se trouve sur le territoire de la commune de Germigny. Un site (http://germigny.creteil.iufm.fr/village/village.htm) présentant succinctement l’histoire de Germigny indique qu’il y aurait eu 10 soldats français qui seraient morts ces 8 ou 9 septembre 1914 sur la commune. Il n’y a pas, au moment où ces lignes sont écrites, d’éléments permettant d’établir un lien entre ces informations et celles du JMO de la 16ème Brigade.

5-6- Léon SALMON, un troisième juignéen meurt pour stopper l’ennemi lors de la Bataille de la Marne.

Fiche « mort pour la France » de Léon SALMON.
Source : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/m005239fcb40b171

Quoique né à Avoise64 le 3 août 1884, Léon SALMON était très vraisemblablement juignéen quand il fut « tué à l’ennemi » le 9 septembre 1914 ; il fut, dans l’ordre chronologique, le sixième juignéen « mort pour la France »65.

Fils d’un père employé des chemins de fer et d’une mère journalière au moment de sa naissance, il semble avoir passé son enfance et son adolescence à Avoise où il résidait encore au moment du conseil de révision en 1904. Il effectua son service militaire au sein du 117ème R.I. entre octobre 1905 et septembre 1906. Puis il connut une vie plus mobile, sans doute comme aide de culture qui changeait de résidence en fonction de ses différents emplois, toujours dans le sud-ouest du département : Noyen, Parcé66 où il épousa Marie Louise GUITTON en 1909, Arthezé où il s’installa en 191267. Léon SALMON devait pourtant être juignéen en 1914, puisque c’est sur le registre d’état civil de Juigné qu’il fut enregistré comme « mort pour la France » (voir-ci-dessus).

Mobilisé, Léon SALMON rejoignit son unité, le 317ème R.I., au Mans, le 4 août 1914. Il ne partit toutefois pour le front que le 6 et y arriva le 8. Accompagnant les mouvements du 4ème C.A., le 317ème R.I. semble cependant avoir été moins touché que d’autres unités par les combats d’août 1914. Le 317ème R.I. ne débarqua sur les arrières de l’armée Maunoury qu’avec les derniers éléments du 4ème Corps d’Armée ramenés de Lorraine, le 7 septembre 191468. Le 9, à 9 heures du matin « les 315ème et 317ème tiennent avec un bataillon Boissy et Fresnoy, avec un bataillon Péroy-les-Gombries et la route Nanteuil- Ormoy. Un bataillon est en réserve au nord-est de Nanteuil ». À 10 h 30, le 14ème Hussard et un bataillon du 317ème se portèrent, avec 8 automitrailleuses, vers Rozières, fortement canonné par l’artillerie allemande69. À 13 heures, les 315ème et 317ème eurent aussi à faire à de l’infanterie allemande et à 13 h 30, « un bataillon ennemi se porte de Rozière vers Versigny [plus au sud], il est contenu par le 317ème. »70. L’ennemi attaquait aussi par le nord. À 14 h 30, l’ennemi débouchait aussi de Betz, c’est-à-dire de l’est. Il fallut se replier vers Nanteuil et Sennevière au Sud-ouest et au sud-sud-ouest. Au soir, les troupes de la 61ème Division de réserve71 tenaient des positions aux abords de Nanteuil et Sennevières mais n’occupaient plus ces localités. On ne sait quand exactement Léon SALMON fut tué, le lieu indiqué pour son décès était passé aux mains de l’ennemi en cours de journée. De plus, si sa fiche « Mort pour la France » indique qu’il fut tué à l’ennemi, sa fiche matricule semble plus précise et dit qu’il disparut72.

LOCALISATION DES COMBATS QUI COUTÈRENT LA VIE À LÉON SALMON (9 septembre 1914)

Source : fond de carte tiré de : 1418bd.free.fr/.../dosmonumcimetiere%20militaire%20Betz%2060…

Sa mort montre bien que les unités dites de réserves furent elles aussi durement mises à contribution et que la victoire de la Marne ne fut pas acquise face à un ennemi qui se débandait, au contraire, sur cette extrême gauche de la ligne française, il engagea même une manœuvre de débordement, ou de diversion, avec des troupes venues du nord pour permettre aux troupes en mauvaise posture sur la rive droite de l’Ourcq de se replier dans de bonnes conditions. Sans doute, la victoire se dessinait-elle mais elle exigeait encore de lourds sacrifices de la part des soldats français. La mort de Léon SALMON en témoigne, il avait 30 ans.

64 Avoise est un village limitrophe de Juigné, situé à plus à l’est et comme lui sur la rive droite de la Sarthe.

65 Il est cependant en fin de liste sur le monument de la place de l’église.

66 Parcé est un village situé à quelques km au sud-est de Juigné.

67 Cf. sa fiche matricule (http://www.archinoe.net/cg72v2).

68 Nous ne disposons pas de J.M.O. pour le 317ème R.I., ce débarquement est mentionné dans le JMO du 4ème C.A. qui ne précise pas où exactement. Toujours d’après la même source le 103ème R.I. (l’un des régiments de la 14ème Brigade, appartenant à la 7ème D.I.) n’a débarqué que le 8 septembre au soir.

69 CF J.M.O. du 4ème C.A. ; rappelons qu’un régiment de réserve ne comptait que deux bataillons. Le 14ème Hussard constituait la cavalerie du 4ème C.A.

70 Peut-être est-il ici fait allusion à la Brigade Lepel, qui venait du nord à marche forcée et qui devait aider la Ière armée allemande à vaincre la VIème armée française, en le tournant sur sa gauche.

71 Le 317ème R.I. fut intégré dans des divisions différentes au cours du conflit. Il était alors l’un des régiments de la 61ème Division de réserve.

72 Cette fiche précise même que le décès fut fixé par un jugement rendu par le tribunal de la Flèche le 27 avril 1920.

5-7- Après la Marne, la guerre continue : mort d’Alexis CHEVALIER

Fiche mort pour la France d’Alexis CHEVALIER.
Source : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/m005239df1774139

La fin de la Bataille de la Marne, ne fut pas un répit pour les soldats, les combats continuaient à faire rage. Le sort d’Alexis CHEVALIER en atteste. 

Natif de Juigné, il était né le 16 octobre 1889 au lieu-dit le Pressoir où son père était maître carrier73. Alexis CHEVALIER était encore présent à Juigné lors du recensement de 1906, il était alors domestique de ferme dans le secteur des Places. Lors du recensement de 1911, il effectue son service militaire, au sein du 115ème R.I.74. Nous n’avons aucun renseignement sur un éventuel mariage.

Après que l’ordre de mobilisation générale ait été affiché, le 2 août 1914, Alexis CHEVALIER dut rejoindre son unité, il y arriva le 3 août. Vraisemblablement parce qu’il appartenait aux plus jeunes classes de la réserve, il fut incorporé au 115ème R.I. pour en compléter l’effectif. Sa fiche matricule ne précise pas qu’il serait d’abord resté au dépôt, on peut donc estimer qu’il fut immédiatement versé dans les forces combattantes, comme simple soldat. Sa fiche « Mort pour la France » précise même qu’il appartenait à la deuxième compagnie75.

En conséquence, il a dû vivre tous les moments difficiles que connut le 115ème en août 1914 et dans la première moitié de septembre : marches, mise en défense de position au pied des côtes de Meuse, marche vers le Luxembourg Belge, combats meurtriers de Virton le 22 août, retraite ponctuée de combats d’arrière- garde particulièrement sur la rive gauche de la Meuse le 31 août. Alexis CHEVALIER et ses compagnons d’armes furent ensuite conduits en train dans les environs de Paris, ils allaient participer à la bataille de la Marne. On l’a vu, détachés au sud de la VIème Armée pour assurer la jonction avec le Corps expéditionnaire britannique, les hommes de la 8ème Division n’eurent sur le plan de la participation aux combats qu’un rôle limité au début de la bataille. Celle-ci a d’abord impliquée de longues marches, jusqu’à 55 km en 24 heures, et des combats qui dans les J.M.O. semblent sporadiques76. Après la longue marche pour gagner l’aile droite de la VIème Armée et établir la jonction avec les britanniques, les 8 et 9 septembre, on ne put accrocher sérieusement l’ennemi qui pourtant retraitait, tant il était bien soutenu par son artillerie lourde77.

Puis il fallut à nouveau enchaîner de longues étapes ponctuées de haltes, de combats, de détours et de retours sur ses pas. La direction générale était sud-nord, sur les talons d’un ennemi qui tantôt se dérobait tantôt s’accrochait momentanément à des positions préparées défensivement et d’où ses mitrailleuses, ses canons soigneusement défilés en arrière pouvaient aisément arrêter ou au moins retarder la progression française. C’est ainsi que le 15 septembre, les hommes du 4ème Corps d’armée se trouvaient au nord-est de Compiègne. Le G.Q.G. comptait sur ce corps d’armée et sur la VIème Armée d’une manière générale pour tourner les allemands sur leur droite, mais ceux-ci avaient, tout en faisant retraite, organisé une ligne d’arrêt. Le 15 septembre au soir, des hommes du 115ème venaient buter dessus à Pontoise-lès-Noyon, village à proximité duquel il y eut des affrontements dès le 15 au soir. L’ennemi devenait très offensif. En effet, le 16 septembre dès l’aube, des éléments du 115ème R.I., dont le premier bataillon dans lequel se trouvait Alexis CHEVALIER, furent vivement attaqués à proximité de ce village.

Les français rescapés durent se replier ; la fiche « mort pour la France » d’Alexis CHEVALIER laisse supposer qu’il avait déjà été tué. Il périt au cours de combats dont l’issue rendaient de plus en plus illusoire la possibilité de repousser l’ennemi jusqu’à la Meuse comme l’espérait le Grand État-Major. La guerre allait durer, Alexis CHEVALIER avait à peine 25 ans et, probablement, il avait encore un frère sous les drapeaux.

73 Sur l’acte de naissance sa mère est dite ménagère, c’est-à-dire sans profession. Le lieu-dit le Pressoir dominait la plus orientale des carrières de Juigné. Alexis CHEVALIER n’était pas fils unique, un frère au moins fut appelé sous les drapeaux pour une très brève période aux services auxiliaires du 104ème Régiment d’artillerie lourde, en octobre-novembre 1915. Ce frère, né en 1875, fut ajourné pour surdité et trop faible acuité visuelle. Alexis avait un autre frère né en 1879 encore présent sur Juigné en 1911. On ne sait pas s’il fut mobilisé.

74 Le 115ème R.I. était basé sur Mamers et Nogent-le-Rotrou, toutefois d’autres jeunes hommes du sud-ouest de la Sarthe ou de la région mancelle s’y sont retrouvés dès le début du conflit voire y avaient fait leurs classes.

75 Sources : fiche Matricule et fiche « Mort pour la France » numérisées et mises en ligne respectivement par le site Mémoire des hommes (http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr) et par les archives départementales de la Sarthe (http://www.archinoe.net/cg72v2). Toutefois, la fiche matricule semble erronée sur un point, la date du décès, elle indique le 7 septembre, mais à Pontoise. Il y a concordance pour le lieu avec la fiche « Mort pour la France » d’Alexis CHEVALIER. Le 7 septembre, le 115ème ne pouvait pas se trouver à Pontoise (CF. J.M.O. du régiment). Nous avons donc considéré que la date du décès était celle qu’indiquait la fiche « Mort pour la France » qui, elle, concorde avec les informations du J.M.O.

76 Cf. les J.M.O. de la 16ème Brigade et du 115ème R.I.

77 Quand la guerre éclata, les armées françaises étaient beaucoup moins bien dotées en artillerie lourde que les armées allemandes. Aussi, les fantassins français n’étaient alors guère soutenus que par les canons de 75, très performant mais d’une portée approximative de 6 km, quand l’ennemi disposait de canons de 150 dont la portée était de l’ordre de 12 km. Cependant les informations sur les portées des canons durant la Grande Guerre peuvent varier, en fonction des auteurs, mais surtout en fonction des types de munitions employées et du moment dans le conflit, les deux camps ayant constamment travaillé à améliorer leurs armes.

5-8 – Comment s’adapter à un front qui se stabilise : le commandement tâtonne, des hommes comme Henri GOUILLET meurent

Fiche mort pour la France d’Henri GOUILLET.
Source : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/m005239ebd94ba8e

Le 8ème juignéen mort pour la France, Henri GOUILLET, était lui aussi juignéen de naissance et aide de culture en 1911. Né le 15 septembre 1890 à la Bouchardière78. En 1906 comme en 1911, comme aide de culture, il travaillait et résidait chez ses parents, cultivateurs. Il était célibataire.

Quoique Sarthois, Henri GOUILLET partit en Lorraine pour effectuer son service militaire dans les rangs du 69è R.I. basé à Nancy et à Toul, à partir d’octobre 1911. Il fut maintenu sous les drapeaux jusqu’en novembre 1913. C’est au cours de cette période qu’il acquit la distinction de soldat de 1ère classe qu’il conserverait après la mobilisation de 1914. Après cette première période d’obligation militaire, Henri GOUILLET dut rejoindre Juigné79. Il ne fut toutefois pas versé dans la réserve d’un régiment lorrain mais dans celui du Mans.

Il ne resta pas longtemps civil car dès le 3 août 1914, il avait rejoint la caserne. Comme un certain nombre des hommes les plus jeunes qui auraient pu appartenir au régiment de réserve manceau, le 317ème,  il fut incorporé au 117ème, le régiment d’active qui vraisemblablement avait besoin de cet apport pour compléter son effectif80. Sa fiche matricule ne précisant pas qu’il serait resté un temps à « l’intérieur », il y a donc lieu de penser qu’il fut de ceux qui furent embarqués dès le 5 août pour rejoindre les positions affectées à la 8ème Division au nord-nord-est de Verdun. À l’instar d’autres combattants du pays sabolien, il dut lui aussi passer par les mêmes épreuves : marches, combats meurtriers de Virton, puis sur la rive droite de la Meuse…, il dut lui aussi faire ce long trajet en train vers Paris, puis ces longues heures de marches pour commencer sa bataille de la Marne à l’est de Meaux. Puis il connut lui aussi ces étapes ponctuées de combats en poursuivant les troupes allemandes qui retraitaient et les combats meurtriers des 16 au 18 septembre au sud de Noyon et qui virent l’armée française stoppée dans son avance et même refoulée un peu plus au sud.

Le 19 septembre, Henri GOUILLET et ses compagnons d’armes, furent alors pour un temps soustrait à la fournaise, on les destinait à d’autres combats un peu plus vers le nord. Le 22, le 4ème Corps d’Armée arriva sur Roye où les combats reprirent. Pour les français, qui dans un premier temps progressèrent, l’objectif était de tourner l’ennemi par le nord, lui-même cherchant aussi à déborder cette aile gauche du dispositif français sur sa gauche.

Une autre phase de cette guerre commençait, la course à la mer. Toutefois, pour les hommes de la 8ème Division cela marqua l’entrée, sans doute progressive, dans une autre forme de combat : la guerre des tranchées. Dès le 23 septembre il fut ordonné de stationner sur les positions conquises, à Liancourt et à Étalon au nord-nord-est de Roye, pour le 117ème R.I.. Les hommes durent les organiser défensivement en y creusant des tranchées « à l’allemande »81. Le 24, les combats s’intensifièrent, l’armée allemande ayant pu faire parvenir de renforts avant que les troupes françaises ne pussent bénéficier d’un soutient similaire. De plus, Henri GOUILLET fut peut-être de ceux qui au 117ème constatèrent que, face à eux, l’armée allemande avait parfaitement intégré qu’à la guerre la fin l’emporte sur les moyens : un document officiel affirme que des soldats allemands protégèrent leur avance dans Liancourt en « poussant devant eux des femmes et des enfants »82. Par la suite, on s’est battu tous les jours. Combats éprouvants pour une troupe de plus en plus clairsemée : au matin du 26 septembre, le régiment comptait un peu plus d’un tiers seulement de son effectif théorique, il était réduit à 23 officiers et 1 250 hommes83 ! Malgré les ordres de tenir à outrance, voire parfois de contre-attaquer, malgré les efforts consentis par la troupe et la pression exercée par le commandement, la ligne de front tendait à reculer. Pour le 30 septembre, le JMO de la 16ème Brigade indique que les troupes doivent tenir une portion du front dans un secteur au nord-nord-est de Roye. Il indique qu’à cette date le 117ème est réduit à 1 400 hommes84, réorganisé en 2 bataillons, mais en même temps que l’ordre est de « tenir à outrance, de contre-attaquer le plus possible ».

Pour les hommes du 117ème, le combat changeait de forme, même si le front avait bougé dans les jours précédents du fait de la poussée allemande et d’un recul français, ils entraient dans la guerre de tranchée à laquelle ils n’étaient pas préparés et que ni les états-majors ni l’intendance n’avaient anticipée85. « La 16ème Brigade occupe plusieurs lignes de tranchée établies à la hâte le long des routes Damery-Villers-les-Roye […] et Damery-Andéchy. Le bataillon du 117ème est aux avant-postes, les tranchées sont généralement mal aménagées, les renforts venus du dépôt n’étant pas munis d’outils » peut-on lire dans le J.M.O. de la 16ème Brigade pour le 4 octobre. Ailleurs dans ce même J.M.O. on peut lire que telle unité manquait de munitions, qu’à un moment, telle autre n’avait plus qu’une demi-journée de réserve, que les homme n’avait quasiment pas de repos puisque quand ils n’étaient pas en première ligne, ils était en deuxième ligne quasiment tout le temps en alerte qu’entre les périodes de combats ou de bombardement il fallait travailler à renforcer les tranchées, que les services de santé manquaient de brancards…

Pourtant, ce même 4 octobre, l’ordre est donné de passer à l’attaque, en plein jour, après une très courte préparation d’artillerie86. L’attaque échoua en grande partie du fait des canons allemands. En partie aussi, côté français, du fait d’une attaque brusquée en plein jour et du fait de problème de coordination et de communication entre le commandement et le terrain, et sans doute aussi parce que les 115ème et 117ème étaient « déjà fort déprimées par un long séjour dans les tranchées sans le moindre repos »87, ils durent même reculer en deçà de leurs positions de départ. Les jours suivants pourtant les hommes n’eurent guère de repos, l’ennemi pressait, l’ordre était de « tenir à outrance ».

Le 7 octobre, une contre-attaque nocturne eut lieu, le 117ème en tête, pour tenter de reprendre le Quesnoy-en-Santerre et Andechy. Déclenchée à 19 heures, elle dura toute la nuit, sans succès. Voici ce qu’en dit le J.M.O. de la 8ème D. I. : « La fusillade dure jusque vers 2 heures du matin, nos troupes approchent très près de leurs objectifs, mais ne peuvent les enlever par suite du feu des mitrailleuses ennemies. Pertes assez sérieuses, surtout au 117ème ». Le J.M.O. de la 16ème Brigade précise qu’à deux reprises des éléments du 117ème purent atteindre le village mais qu’ils eurent alors à faire non seulement aux mitrailleuses allemandes mais aux obus de canons de 75 français dont le tir était mal réglé. Les pertes de la journée pour la Brigade avaient été évaluées à 400 hommes.

Est-ce alors, au moment où cette terrible Bataille de Roye prenait fin, qu’Henri GOUILLET fut mortellement blessé ? Fut-ce dans les combats des jours précédents ? On sait seulement qu’il ne fut pas tué sur place et qu’il dut, on ne sait comment, se diriger ou être transporté derrière la ligne de feu probablement sur un poste de secours puis sur l’ambulance n°788, installée dans un « asile de vieillards » à Hanguest-en Santerre. Cette ambulance 7 où il mourut était située à environ 9 km derrière Andechy. Ce 7 octobre 1914, les brancardiers de la 8ème Division ont transporté jusqu’aux ambulances environ 200 blessés89 ! Henri GOUILLET avait tout juste 24 ans.

Plan directeur du secteur du champ de bataille où Henri GOUILLET fut mortellement blessé. Schéma cartographique correspondant à une date sans doute un peu postérieure mais toujours en octobre 1914 avec un front qui n’avait quasiment pas évolué depuis le 7 (édification de redoutes).

Ce document montre que dans ce secteur, à ce moment-là, Henri GOUILLET et ses compagnons d’armes sont entrés dans une guerre de position. On remarque notamment l’organisation en tranchées parallèles protégées par des barbelés, reliées par des boyaux en zig-zag, pour éviter les tirs d’enfilade. Au fil du temps, ces réseaux s’étendraient plus dans la profondeur, gagneraient en densité et en complexité. L’artillerie de campagne occupait le 7 octobre des positions différentes de celles qu’on peut observer ici. Néanmoins, le texte du J.M.O. montre la difficulté qu’on avait alors à coordonner l’action de l’artillerie et de l’infanterie. Hanguest-en Santerre, est à quelques km à l’est-nord-est du village d’Erches. Source : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr, (JMO 16ème Brigade, vue 138, positions autour du 7 octobre 1914)

78 Lieu-dit aujourd’hui inhabité, dans le secteur nord du territoire communal.

79 Sa fiche matricule n’indique pas qu’il se serait établit ailleurs après son service militaire (http://www.archinoe.fr/cg72v4, cote 1R 1207).

80 Nous ne disposons pas du J.M.O. du 117ème R.I. pour le début du conflit mais on sait que l’on procéda ainsi pour de nombreux régiments, notamment le 130ème caserné à Mayenne et Domfront (voir supra).

81 L’armée Allemande était dès le départ mieux préparée à établir des tranchées ; de plus, accepter de ne plus avancer et de s’enterrer n’avait pas la même portée pour une armée qui se battait sur un sol étranger que pour une armée qui se devait de libérer le territoire national. Pour ces tranchées « à l’allemande », il est même prescrit qu’elle devait avoir 1 m 10 de profondeur, quand, jusqu’alors, les français se contentaient d’ébauches de tranchées plus sommaires quand ils devaient se terrer face à la mitraille ou aux obus.

82 Il s’agit du J.M.O. de la 16ème Brigade qui se réfère au témoignage du colonel Jullien, commandant du 117ème R.I., en personne !

83 Au jour du départ, le 5 août 1914, le 117ème comptait 57 officiers et 3 274 hommes de troupes et sous-officiers !

84 Il dut y avoir entre temps le retour en ligne de blessés ou de malades puisqu’il n’est pas explicitement mentionné l’arrivée de renforts venant du dépôt ; déjà l’ordre était de tenir jusqu’au bout (au 130ème, il a fallu contraindre par la force les hommes à avancer). Malgré cela, les troupes se repliaient sous la poussée allemande appuyée par l’artillerie (calibres 150 et 77). Le général commandant la 8ème D.I. ordonna « que tout homme quittant sa tranchée soit fusillé ».

85 Dès le 25 septembre 1914, alors que les hommes se battent au nord-est de Roye, le J.M.O. de la 8ème D. I. constate : « le 4ème Corps d’armée [auquel la division appartient] doit se maintenir coute que coute sur ses positions. Les tranchées sont organisées, fortifiées et le combat se transforme en une guerre de siège où l’on doit défendre le terrain pied à pied. »

86 Tirs de préparation à l’attaque de l’infanterie de 13 h 50 à 14 h ! Puis l’artillerie devait être utilisée pour des tirs de barrage ou de contre-batterie (cf. J.M.O. de la 16ème Brigade, premier volume, déjà cité). Cette brièveté de la préparation d’artillerie est-elle à mettre au compte de la pénurie de munitions que connaissait l’armée française ou à cette croyance aveugle des cadres militaires dans les vertus de l’offensive dont pourtant les faits montraient depuis août qu’elle ne résistait pas eu feu ?

87 Cf. J.M.O. de la 8ème Division, premier volume (déjà cité).

88 Les J.M.O. des services de santé du IVème Corps d’armée, de la 8ème Division et celui des brancardiers de cette même D.I. ne mentionnent la présence de cette ambulance n°7 à Hanguest-en-Santerre qu’à partir du 7 octobre. Le J.M.O. des services de santé du IVème C.A. évoque même explicitement cette installation. De plus, le J.M.O. des brancardiers de la 8ème D.I. indique que, le 7 octobre, 200 blessés ont été transportés aux ambulances. Celui du Corps d’armée précise que le 8 octobre : il se trouvait à l’ambulance n°7 de nombreux blessés par balles de fusils ou de mitrailleuses tirées à courte distance et qu’ils étaient donc souvent dans un état grave. Sources : site Mémoire des hommes déjà cité, cote du J.M.O. des services de santé du corps d’armée : 26 N 113/1, des services de santé divisionnaires : 26 N 284/5, des brancardiers : 26 N 284/9.

89 J.M.O. du groupe des brancardiers de la 8ème D.I.. Le taux de blessés qui moururent des suites des blessures infligées au combat ou par les obus fut très lourd au début du conflit et diminua progressivement par la suite.

5-9 – Un second mort juignéen en octobre 1914 dans le Santerre : Auguste MORINEAU

Fiche mort pour la France d’Auguste MORINEAU.
Source : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/m005239ebd94ba8e

Le nom du 9ème juignéen mort pour la France ne figure sur aucun des monuments aux morts de la commune, il s’agit d’Auguste MORINEAU. Celui-ci était pourtant natif de Juigné : il vit le jour dans le hameau du Port-de-Juigné90, face à l’Abbaye de Solesmes, le 17 novembre 1884. Son père était marbrier, sa mère journalière. La famille semble s’être installée dans la commune de Solesmes dans les dernières années du XIXème siècle. En 1904, il semble qu’Auguste MORINEAU ait été un temps domestique à Paris mais il était domicilié à Solesmes au moment du Conseil de révision91. En 1906, lors du recensement, Auguste MORINEAU, âgé de 26 ans, y vivait encore chez ses parents, son père était toujours marbrier, profession que lui même exerçait également, lui aussi pour la Société des Marbres de l’ouest.

Il effectua son service militaire au 146ème Régiment d’infanterie d’octobre 1905 à septembre 190692. Il fut ensuite versé dans le régiment de réserve du Mans. On sait aussi qu’après un passage par Gastines, il s’établit à Solesmes en 1909. Cependant, ce fut à Juigné qu’il se maria, le 28 novembre 1911, avec Germaine Augustine MORAND. Le jeune couple s’installa vraisemblablement à Solesmes.

Au début de la guerre, on retrouve Auguste MORINEAU mobilisé dans les rangs du 317ème R.I.. Sa fiche matricule indique qu’il fut dès le 9 août 1914 « aux armées », c’est-à-dire dans la zone où se trouvaient les troupes combattantes, leur intendance… et non resté au dépôt au Mans. Auguste MORINEAU a donc vraisemblablement connu les épreuves par lesquelles est passé son régiment : débarqué dans le Verdunois le 9 août, la montée vers la Belgique, Virton – le 22 -, la retraite, le transfert en train vers la région parisienne, l’engagement dans la Bataille de la Marne alors pleinement engagée, avec particulièrement les combats de Boissy-Fresnoy qui coutèrent la vie à Léon Salmon, puis le début de la course à la mer. Fin septembre son unité se trouvait dans le Santerre, le 317ème y combattait aux côtés des autres régiments du 4ème Corps d’armée, notamment du 117ème dans les rangs duquel le juignéen Henri Gouillet fut mortellement blessé le 8 octobre.

Croquis de situation du 4ème Corps d’Armée au 14 octobre 1914.
Jusqu’à l’attaque sur le Quesnoy des 29 et 30 octobre et qui coûta la vie à Auguste MORINEAU, le front est resté relativement stable mais les positions occupées par les différents régiments ont pu varier quelque peu. Source : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr (cote : : 26 N 109/1)

La seconde quinzaine d’octobre fut d’abord relativement calme, marquée par des canonnades intermittentes et, du côté français, un gros travail de terrassement pour avoir des parallèles de départ aussi près que possible du Village du Quesnoy-en-Santerre, objectifs d’une attaque programmée à laquelle la 8ème D.I. devait prendre part avec des éléments du 14ème C.A. qui se trouvait alors plus au nord. En effet, bien que le front fut alors plus ou moins stabilisé dans ce secteur, le haut commandement français demandait qu’on empêchât l’ennemi d’y soustraire des unités que celui-ci aurait pu envoyer plus au nord et où les alliés avaient déjà à faire à des forces considérables. Le 28, les tranchées françaises était à 500 m des premières lignes allemandes, des ouvrages pour les compagnies qui montraient à l’assaut avaient été réalisés, l’objectifs pour les forces de la 8ème D.I. était alors de progresser vers la cote 98 et le sud du village du Quesnoy (voir plan directeur du J.M.O. de la 16ème Brigade ci-dessus). Le 14ème C.A. devant quant à lui attaquer par le nord-ouest. Le 29 octobre, à la mi-journée, l’offensive fut déclenchée par l’artillerie puis le 117ème qui réussit dans un premier temps à progresser mais dût bientôt arrêter. Le J.M.O. de la 8ème D.I. indique alors : « Le général commandant la 8ème D.I porte alors en avant le 317ème qui était en réserve et qui parvient aux lignes occupées par le 117ème, mais qui se heurte dans le Quesnoy à une organisation défensive très forte et supporte en plus le feu d’une forte canonnade venant de l’est d’Andéchy »93. L’attaque cessa vers 17 heures, les hommes des 117ème et 317ème restèrent sur les positions conquises et s’y retranchèrent tandis qu’une section de canons de 75 fut poussée en avant pour mieux appuyer un nouvel effort de l’infanterie. Vers 23 heures, le 117ème fit une nouvelle tentative, infructueuse. Le lendemain, l’offensive reprit avec un apport de troupes jusqu’alors en réserve (315ème et pour le 14ème C.A. le 140ème R.I.). L’attaque déclenchée vers midi put à nouveau progresser mais « à plusieurs reprises, nos troupes arrivent jusqu’aux premières maisons de la lisière sud, sans pouvoir pénétrer complètement par suite du feu violent des mitrailleuses ennemies » indique le J.M.O. de la 8ème D.I.. Aussi, à 19 heures, le colonel Jullien ordonna une charge baïonnette au canon ; « le village est enlevé brillamment » note le même J.M.O., sans préciser quel en fut le prix humain. D’autant plus que les soldats du 4ème C.A. durent repousser dans la nuit trois contre-attaques allemandes. Plus tard, Henri Senthiles94, indiquerait pour ces combats du Quesnoy des pertes de l’ordre de 50 % pour le 117ème.

Parmi les hommes du 317ème, même ce régiment fut vraisemblablement un peu moins exposé, beaucoup tombèrent également, au nombre desquels Auguste MORINEAU. Sa fiche « mort pour la France » indique qu’il fut tué à l’ennemi, mais sa fiche matricule, plus précise, dit qu’il disparut le 30 octobre. Il avait presque 30 ans, laissait une veuve et peut être un ou plusieurs orphelins. C’est la commune de Solesmes qui enregistra le décès d’Auguste MORINEAU, après un jugement du tribunal de la Flèche, daté du 15 février 1921 et qui fixait la date officielle du décès au 30 octobre 1914. C’est aussi sur le monument aux morts de Solesmes que se trouve son nom.

90 À cette époque ce hameau s’appelait le Port de Solesmes.

91 Source : sa fiche matricule, mise en ligne par les archives de la Sarthe (http://www.archinoe.net/cg72.) Les autres informations sur son parcours militaire individuel puisent à la même source.

92 Le 146ème R.I. était basé à Toul, mais Auguste MORINEAU ne fut pas le seul jeune homme du pays sabolien qui partit faire son service militaire dans l’est où on avait besoin de plus d’hommes que pouvaient en fournir la population de ces régions frontalières pour former suffisamment de régiments d’active.

93 J.M.O de la 8ème D.I. site mémoire des hommes : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr (cote 26 N 284/1)

94 Henri SENTHILÈS (le fils de celui à qui nous devons ce témoignage), Lieutenant à 19 ans dans les tranchées, éd. Point de vue (Rouen) et Société historique et archéologique du Maine (Le Mans), 2013. Cet ouvrage, est pour note étude d’un très grand intérêt : il présente et contextualise la correspondance d’Henri Senthilès père, alors jeune sous-lieutenant au 117ème R.I., le régiment dans le lequel furent mobilisés de nombreux jeunes hommes du pays sabolien.

5-10 – Henri PICARD, le troisième juignéen qui meurt dans le Santerre est aussi le premier fils de la famille que lui ravirait la guerre

Fiche mort pour la France de Frédéric PICARD.
Source : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/m005239ebd94ba8e

Quoique mayennais au moment où la guerre commença, ils résidaient alors à Saint-Pierre sur Erve95, les Frères PICARD, Henri Frédéric et Marcel Constant, étaient nés à Juigné ; ils périrent tous deux au cours du conflit. L’aîné, Henri Frédéric, mourut le premier, le 5 novembre 1914 dans le Santerre. Il était né le 14 juillet 1887, aux Touches96.Son père, Louis PICARD et sa mère Arthémise Joséphine Cribier y était alors cultivateurs. Au recensement de 1891, la famille PICARD résidait toujours dans la Section des Touches, Henri est le cinquième enfant d’une famille de sept, il avait deux sœurs et deux frères aînés, un frère, Marcel, et une sœur plus jeunes. La famille quitta le territoire communal entre 1891 et 1896, date à laquelle on la retrouve établie dans une ferme à Saint-Pierre-sur-Erve. Henri PICARD ne résida donc à Juigné que quelques années durant son enfance.

Militairement Henri PICARD, dépendait du bureau de recrutement de Laval. Son âge aurait dû le conduire à intégrer le régiment de réserve de ce secteur, le 324ème R.I., on le retrouve pourtant dans son régiment d’active, le 124ème R.I.. Les 25 octobre et 2 novembre 1914, celui-ci reçut respectivement 118 et 207 hommes de renfort. En l’état actuel de nos connaissances on ne sait si Henri Frédéric PICARD était déjà dans ses rangs comme combattant avant cette date ou s’il faisait partie de ce renfort97. Pour le 4 novembre, il avait été décidé que, sur le front du 4ème Corps d’Armée, il y aurait une attaque brusquée sur Andechy. S’agissant de la 8ème Division, c’est la 15ème Brigade qui devait monter à l’assaut98. Le caractère brusqué sa caractérisa notamment par le fait qu’il n’y eut pas de préparation d’artillerie, c’est le déclenchement des tirs de canons qui fut le signal de l’assaut pour l’infanterie. Celle-ci dut avancer sous des tirs nourris des Mausers, des mitrailleuses et des canons allemands. Partis à environs 1 200 m des objectifs assignés, les hommes les plus en pointe ne purent aller au-delà des lignes de fil de fer barbelé protégeant les tranchées allemandes, alors qu’ils auraient dû les enlever et même passer outre. Ils durent même se replier ; l’avance fut donc modeste, mais le coût humain très lourd : « la journée a été chaude pour le 124ème » est-il noté dans le J.M.O. du régiment. Mais, derrière la litote, les chiffres et ce qu’elle masque de douleur sont éloquents : « un officier tué, trois officiers disparus, 10 blessé et 638 hommes tué ou blessés » précise le même J.M.O99.

Henri PICARD était au nombre de ces blessés. Il décéda le lendemain dans l’ambulance n° 6 du 4ème C.A., installée à Warsy100, le jour même de l’attaque pour être plus prêt du front. C’est sans doute la raison qui explique qu’elle connut un afflux important au cours de cette journée : 380 soldats sous-officiers et officiers du 124ème R.I. ; le nombre de ceux qui venaient du 130ème fut même un peu plus élevé. Le J.M.O. des services de santé du 4ème Corps d’Armée indique qu’ils eurent à traité un grand nombre d’hommes gravement blessés (plaies de l’abdomen, de la poitrine et du crâne), que le lendemain encore, on amenait des blessés à l’ambulance de Warsy.

Au sein de la 15ème Brigade, Henri Frédéric PICARD se battait dans le régiment qui était associé au 130ème, celui de son frère Marcel. Ce jour- là, celui-ci eut plus de chance que son aîné. Ils furent alors les acteurs d’un de ces assauts infructueux que connurent tant de fois tant de poilus au cours de cette guerre. Henri qui y laissa la vie avait 27 ans101. Si son nom ne figure pas sur les monuments aux morts juignéens, on le retrouve sur celui de Saint-Pierre-sur-Erve où il résidait à la veille du conflit.

Quand les armées atteignirent la mer en Belgique, les états-majors n’avaient pas renoncé à la guerre de mouvement. Les allemands d’abord cherchèrent à crever cette faible ligne de défense que lui opposèrent ce qui restait de l’armée belge et des fusiliers marins français autour de Dixmude et entre cette ville et la mer d’abord. Puis ils firent aussi porter leur effort au autour d’Ypres où se trouvaient des unités britanniques et françaises. Le G.Q.G. français dut prélever des troupes sur d’autres secteurs moins sensibles du front pour renforcer celles qui se battaient en situation d’infériorité dans ce saillant d’Ypres. Pour sa part, avant la fin de l’année 1914, Juigné eut à y déplorer la mort de Joseph HOUDOUIN.

Croquis cartographique du saillant d’Ypres où périt Joseph HOUDOUIN en novembre 1914 à Zonnebeke (à l’est d’Ypres). Source : http://www.fondazionecasadioriani.it

95 Saint-Pierre-sur-Erve est une commune du sud-est de la Mayenne, située à environ 18 km « à vol d’oiseau » au nord-nord-ouest de Juigné-sur-Sarthe.

96 Les Touches, lieu-dit et siège d’une exploitation agricole située dans le nord-ouest du territoire communal.

97 Le 124ème était le régiment d’active basé à Laval. La Fiche matricule d’Henri PICARD n’est pas disponible en ligne.

98 La 15ème Brigade était composée des régiments d’active mayennais : le 124ème, basé à Laval et le 130ème, basé à Mayenne.

99 Cf. site mémoire des hommes, J.M.O. du 124ème R.I. (http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr, cote 26 N 684/13)

100 Sur le « Croquis de situation du 4ème Corps d’armée au 14 octobre 1914» présenté ci-dessus avec la biographie d’Auguste Morineau, Warsy se trouve immédiatement à l’est de Guerbigny.

101 En l’état actuel de nos connaissances, on ne sait s’il était marié et s’il avait des enfants.

5-11 Le juignéen Joseph HOUDOUIN victime d’un puissant effort offensif allemand sur le front belge

Fiche mort pour la France d’Henri GOUILLET.
Source : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr

Joseph HOUDOUIN fut le 10ème Juignéen mort pour la France. Il était né à Daumeray le 23 février 1886. Son père était poseur pour la Compagnie des chemins de fer de l’ouest102. Joseph HOUDOUIN ne résidait pas sur Juigné-sur-Sarthe lors des recensements de 1906 et 1911. De fait, au moment du conseil de révision, en 1907, il résidait sans doute chez ses parents, à Écouflant, dans le Maine-et-Loire, il était alors cultivateur. En 1910, il résidait à Romilly-sur-Andelle, dans la région rouennaise puis il s’est marié à Saint-Sylvain-d’Anjou, le 21 octobre 1911. Pourtant, c’est à Juigné-sur-Sarthe que seront envoyés les 200 francs de secours pour sa veuve en août 1915103. Joseph HOUDOUIN était donc juignéen de fraiche date. En l’état actuel de nos connaissances, on ne sait quel métier il exerçait au moment de la mobilisation générale, travaillant probablement aux chemins de fer, ni combien d’enfants il avait.

Extrait de la « fiche matricule » de Jospeh HOUDOUIN, cadre réservé à son parcours militaire.
Source : Archives départementales du Maine-et-Loire : http://www.archinoe.fr/cg49

Joseph HOUDOUIN fit son service militaire entre octobre 1907 et septembre 1909 dans le 125ème R.I., il en sortit avec le grade de caporal. Il fut classé « non affecté des chemins de fer » du 10 juillet 1910 au premier septembre 1914, il ne fut donc pas incorporé dans une unité combattante dès la mobilisation générale. Mais il rejoignit le régiment d’infanterie d’Angers, le 135ème, le 15 septembre 1914104. Fut-il un temps affecté au dépôt ou immédiatement porté en première ligne105 ? Comme beaucoup, il appartient à ces groupes d’hommes qu’il fallut envoyer en renfort dès les premières semaines de combat tant ceux-ci avaient été meurtriers. Pour le 135ème R.I., ce fut un millier de réservistes qui arrivèrent du dépôt les 20 et 21 septembre 1914. Vraisemblablement, Joseph HOUDOUIN était du nombre. Le régiment se battait alors dans la région de Prosnes, à une grosse vingtaine de km à l’est de Reims. C’est là que s’était arrêtée la progression de cette unité après la Bataille de la Marne. Le secteur était très disputé, chaque camp tentant de progresser, les positions françaises subissant les feux de l’artillerie allemande, les troupes allemandes sont parfois extrêmement près des français (par moment la même Tranchée de la Voie romaine au nord de Prosnes était tenue simultanément par les uns et par les autres selon les secteurs). De plus pour les hommes, les relèves sont rares, courtes106. Le 6 octobre, Joseph HOUDOUIN fut nommé sergent.

À cette date les grands états-majors des deux camps pensaient cependant que ce n’est pas en Champagne qu’on pouvait alors éviter l’enlisement qui figeait déjà le front sur plusieurs centaines de km. La décision se ferait ailleurs, on espérait beaucoup, côté allemand surtout, que ce serait dans le nord. Aussi, soit pour presser les lignes alliées jusqu’à la rupture pour les allemands, soit pour ne rien lâcher tant à Nieuport qu’au niveau d’Ypres, chaque camp dégarnissait des parties du front jugées calmes et d’un faible intérêt stratégique pour alimenter le front belge.

Débarqué en arrière du front d’Ypres le 23 octobre, dès le 24, le 135ème R.I. fut engagé à l’est-nord-est de cette ville pour combattre au sud de Zonnebeke en direction de Paschendale. Joseph HOUDOUIN et ses compagnons d’armes vécurent alors des heures extrêmement difficiles : le froid, la pluie, un ravitaillement très défaillant, un terrain qui souvent ne permettait pas de se cacher (l’eau envahissant souvent les tranchées) ; ce dernier problème était aggravé par la densité des mitrailleuses allemande, l’importance de son artillerie… Les hommes se trouvaient il est vrai dans un secteur dont l’importance était jugée stratégique pour les deux camps (voir plan schématique du secteur ci-dessous). Ces hommes étaient alors plongés dans la Bataille des Flandres particulièrement acharnée plus au nord, le long de la Mer du Nord et dans ce saillant d’Ypres où ils se trouvaient. Faire craquer les lignes adverses à cette extrémité nord-ouest d’un front qui s’étendait jusqu’à la Suisse aurait permis de reprendre la guerre de mouvement par l’enveloppement de l’aile ennemie à laquelle on faisait face. Ici, ce furent d’abord les Français qui prirent l’offensive, la 18ème D.I. avait été transportée dans les Flandres pour renforcer le dispositif français dans cette perspective. Les attaques se succédèrent, dans des conditions qui montrent que les états-majors n’avaient pas encore intégré qu’avait commencé une guerre nouvelle qui donnait nettement l’avantage à la défense sur l’attaque et qui exigeait d’autres méthodes. Ainsi le 30 octobre, malgré les réserves du commandant du 1er bataillon chargé d’attaquer Keiberg, à l’est de Zonnebeke, l’ordre fut maintenu, ce bataillon ne put guère progresser : le 135ème n’aura obtenu… que les félicitations des officiers généraux commandant la 36ème brigade, la 18ème D.I. et l’aile gauche de l’armée anglaise.

Puis ce furent les allemands qui passèrent à l’offensive. Ils firent particulièrement peser leur effort sur les troupes anglaises, un peu plus au sud, et sur la jonction entre celles-ci et le 9ème Corps d’armée français. Le 135ème R.I., à droite des positions de ce corps d’armée était précisément l’une des unités en contact avec les troupes britanniques, quoique devant la pression ennemie, des éléments de diverses unités furent bientôt plus ou moins mêlés, le commandement étant obligé de parer au plus pressé.

Les pertes furent effroyables, notamment pour le 135ème R.I. : entre le 25 octobre, jour de son engagement sur ce champ de bataille et le 12 novembre, jour de la mort de Joseph HOUDOUIN, le régiment eut à déplorer des pertes s’élevant à un peu plus de 2 200 hommes (officiers, sous-officiers et troupe).107 Joseph HOUDOIN mourut à la suite de ses blessures, à proximité immédiate du front, sans avoir pu être transporté vers l’ambulance improvisée de Frezenberg ; le fait qu’il n’ait pas pu être évacué plus loin qu’à un poste de secours laisse supposer qu’il est mort peu de temps après y avoir été conduit, ou s’y être traîné108. On ne sait si Joseph HOUDOUIN laissait un ou plusieurs orphelins. Il avait presque 29 ans.

Plan schématique du secteur affecté au 9ème Corps d’armée, situation le 1er novembre au soir.
Le 135ème R.I. occupe les positions les plus à droite, au contact d’éléments de l’armée britannique immédiatement au sud. Ypres est en dehors de la zone cartographiée, au-delà du coin inférieur gauche.

102 L’acte de naissance ne précise aucune profession pour sa mère.

103 La plupart de ces renseignements proviennent de son extrait de naissance et de sa « fiche matricule », documents mise en ligne par les Archives départementales du Maine-et-Loire ( http://www.archinoe.fr/cg49 ).

104 Le 135ème R. I., dont le dépôt se trouve à Angers, constituait avec le 77ème R.I., basé sur Cholet, La 38ème Brigade d’infanterie, basée sur Poitiers ; Celle-ci, avec la 33e basée sur Châteauroux constituait la 17e D.I., basée sur Châteauroux. La 17ème D.I. et la 18ème D.I. étant les 2 divisions d’infanterie du 9ème Corps d’armée basé sur Tours.

105 La fiche matricule ne permet pas de trancher ne précisant pas si une partie du temps passé dans les rangs du 135ème R.I. le fut « à l’intérieur » et non « aux armées ».

106 Une seule fois avant le repos précédent l’envoi sur le front des Flandres, le régiment eu un peu de repos en arrière : du 3 au 6 octobre. En revanche avant cet envoi du régiment dans la région d’Ypres, le régiment eu plus de repos il cantonne à l’arrière du 13 au 21 octobre.

107 Rappelons que l’effectif théorique d’un régiment en 1914 est de 3 400 hommes. Sur ces 2 209 hommes hors de combat, 144 sont déclarés comme tués à l’ennemi, 134 sont disparus sans que le J.M.O. considère qu’ils ont été faits prisonniers, ils sont donc eux aussi probablement morts sur le terrain ce qui donne pour ces deux catégories un peu plus de 13% des pertes. Les disparus dont on pense qu’ils ont été faits prisonniers représentent quant à eux environ 46% des pertes. Quant aux blessés, près de 900 hommes et environ 40 % des pertes (certains blessés non évacués ne sont pas pris en compte ici), on sait qu’un certain nombre n’a survécu que quelques heures ou quelques jours aux blessures reçues au combat (3.69 % des blessés français arrivés aux ambulances de la 18ème Division pour la période du 2 août au 30 octobre y sont décédés et certains blessés ne purent même pas atteindre l’ambulance). Le sort de Joseph HOUDOIN en est une illustration.

108 Zonnebeke est alors un lieu où cantonnent certaines unités relevées des premières lignes, où se trouvent des postes de commandement, notamment celui du régiment et vraisemblablement un ou plusieurs postes de secours : le groupe de brancardiers est quant à lui basé un peu plus à l’est, à Frezenberg. Le groupe de brancardier y est, au dire du J.M.O. du groupe de brancardiers de la 18ème Division, installé « dans des conditions très difficiles » et fonctionne comme une ambulance ; l’ambulance officielle de la division se trouvant elle de l’autre côté d’Ypres.

5-12 – Fernand LEROY, très vraisemblablement tué à l’ennemi dans le secteur de Tracy-le-Val

Fiche « Mort pour la France » de Fernand LEROY.
On y voit deux informations contradictoires : 2ème Régiment de zouaves pour le corps auquel le soldat aurait appartenu et Saint-Éloi Belgique pour le lieu où il fut « tué à l’ennemi ».
Source : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr

Fernand LEROY, le 12ème juignéen mort pour la France était lui natif de Juigné. Il naquit au Port-de-Juigné, le 11 février 1892, d’un père tailleur de pierre pour la Compagnie des marbres de l’Ouest et d’une mère déclarée sans profession. Au recensement de 1911, Fernand LEROY était lui aussi employé par la Compagnie des marbres de l’ouest, comme ouvrier marbrier, il était alors encore domicilié chez ses parents, célibataire.

Au moment du conseil de révision, en 1912, il était toujours déclaré comme ouvrier marbrier domicilié à Juigné. Après quoi il fut incorporé dans le 2ème Régiment de Zouaves qu’il rejoignit le 13 octobre 1913. Il servit d’abord en Algérie, jusqu’en mai 1914, puis au Maroc jusqu’à la mobilisation générale109.

Manœuvres militaires, septembre 1909, zouave tirant à la mitrailleuse : photographie de presse / Agence Rol.
Les régiments de Zouaves dans l’un desquels se battit Fernand LEROY étaient des unités basées en Afrique du nord mais dont le recrutement faisait appel à des français (Pieds noirs ou métropolitains).

Le 2ème zouave ne put évidemment arriver sur le front aussi vite que les troupes basées en métropole : il n’arriva dans la zone des armées où avait lieu la concentration des troupes de la 37ème D.I. à laquelle il appartenait que le 15 août. Rien n’indique que Fernand LEROY ait pu se trouver un temps affecté à des services non combattants.

Le baptême du feu pour le régiment eut lieu le 22 août, en Belgique, au sud du village d’Auvelais, sur les bords de la Sambre conte laquelle l’ordre était d’acculer les allemands. Comme pour l’ensemble des unités engagées au cours de cette terrible journée du 22 août 1914, les pertes du régiment furent très élevées : 20 officiers dont son colonel et 689 hommes ! Comme les autres combattants du pays sabolien, Fernand LEROY dut découvrir combien le feu pouvait tuer et que dans cette guerre industrielle l’esprit offensif ne pouvait pas grand-chose face à lui.

Puis, comme les autres soldats du pays sabolien déjà engagés dans le conflit, ce fut la retraite, là aussi ponctuée de combats d’arrière-garde. Et l’on retraita, en bon ordre, jusqu’au nord-est de Provins. Là, le 6 septembre, l’ordre fut donné de faire face à l’ennemi, pour Fernand LEROY et ses compagnons d’armes, la Bataille de la Marne débutait. Il fut ensuite engagé dans la poursuite de l’ennemi qui retraitait. Pas longtemps cependant, car dès le 9, la division, la 37ème D.I. reçut l’ordre de se rendre à la gare d’Esternay sur le Grand Morin et à une trentaine de km au nord-nord-est de Provins. L’afflux de trains de blessés et les destructions des allemands causaient un tel encombrement que le départ ne put se faire que le lendemain, une dizaine de km plus au sud, aux Essarts-le-Vicomte. Le régiment, comme le reste de la Division fut débarqué à 25 km au nord de Paris, à Louvres le 11 septembre. Il était à son tour intégré à la 6ème armée dont la mission était de pousser au-delà de l’Aisne l’ennemi qui poursuivait sa retraite. Le 14, le régiment avait passé l’Oise, et cantonnait le soir à Thourette, il avait alors sur sa droite le 4ème Corps d’Armée au sein duquel se battaient d’autres hommes du pays sabolien. Le lendemain, il fit route vers l’est et participa activement à la bataille. Cependant l’ennemi avait cessé de reculer, et, au sud de Noyon, en partie grâce à d’importants renforts, il prit même l’offensive ; on l’a vu, cela a coûté la vie au juignéen Alexis Chevalier. Dans ce secteur de Cuts, Caisnes et Carlepont, les troupes françaises résistèrent mais durent concéder du terrain. Ces journées des 15, 16 et 17 septembre causèrent de lourdes pertes pour le 2ème Régiment de Zouaves : 517 hommes de troupe et officiers hors de combats (tués, disparus et blessés).

On installa par la suite une ligne de résistance plus au sud-ouest, dans le secteur de Tracy-le-Val, Bois Saint-Mard que le régiment ne quitterait pas avant longtemps. Déjà dans ce secteur le front s’organisait avec des tranchées. Cela n’impliquait cependant pas pour les ennemis de se contenter de se faire face et de s’observer, souvent les troupes française, parfois les soldats allemands prenaient l’initiative et passaient à l’offensive, aussi, du 20 au 23 septembre, le 2ème Zouaves eut encore à déplorer 304 officiers et hommes de troupe tués, disparus ou blessés. Le 25 lors d’une nouvelle attaque, sur tout le front de la 6ème armée, le régiment quoique peu sollicité mais arrosé par l’artillerie ennemie eut à nouveau à comptabiliser à nouveau des pertes importantes. Parallèlement les dispositions qui deviendraient typiques de la guerre de position se renforçaient ; ainsi, le J.M.O. de la 73ème Brigade indique pour le 22 septembre : « Des ordres sont donnés pour l’organisation solide des positions occupées, afin de pouvoir tenir avec le minimum de forces et laisser une partie des troupes au repos. À cet effet, s’enfoncer le plus possible dans le sol de manière à créer un obstacle très solide et relier les lignes de tranchées par des boyaux pour éviter les pertes au moment des relèves et ces corvées ». Cela permit aussi de soustraire des unités à ce secteur du front pour les envoyer dans des zones qui réclamaient des renforts de manière urgente. Pour les journées du 5 au 11 novembre, le J.M.O. de la 73ème Brigade note :

« Les opérations prennent de plus en plus l’allure de la guerre de siège.
Les deux adversaires canonnent et fusillent tout ce qui se montre, même pendant la nuit. La progression est journalière mais lente, elle n’a lieu que par boyaux exécutés de nuit.
L’ennemi travaille autant que nous mais pour se renforcer seulement et non pour gagner du terrain. Ses tranchées, rangées souvent en plusieurs lignes successives sont précédées de défenses accessoires qui se renforcent sans cesse ». On lit bien ici les nouvelles formes qu’a prises la confrontation des deux armées et l’approche différente de chaque côté du no man’s land.

Pour la période du 13 au 30 novembre, on peut lire : «La pluie, qui tombe fréquemment, rend le travail plus difficile et détériore les tranchées et abris ». Derrière ses lignes, est-il possible d’imaginer ce que ces conditions météorologiques ajoutaient aux souffrances déjà énormes des poilus ?

Qui dit nouvelles formes de combat dit nouvelles armes, les allemands là aussi avait sans doute mieux su anticiper, plusieurs modèles de minenwerfer110 avaient été testés dès le début du conflit et, le 20 novembre, le J.M.O. de la 73ème Brigade signale leur emploi pour la première fois dans ce secteur du front : des hommes mouraient ensevelis. 

Si la date du 13 décembre indiquée sur sa fiche « mort pour la France » est juste, Fernand LEROY mourut au cours d’une période plutôt calme. Le Deuxième Zouaves tenait alors les tranchées au niveau du Bois Saint-Mard (région de Tracy-au-Val et Tracy-le-Mont), avec le Deuxième Tirailleurs. Pour le 13 même, le J.M.O. de la 73ème Brigade n’indique rien de particulier en dehors d’un observatoire ennemi détruit par un 75 français (la veille, la destruction d’un abri causant la mort de plusieurs officiers, sous-officiers et hommes de troupes français est signalée). L’église de Tracy-le-Val était consacrée à Saint Éloi. Cette église Saint-Éloi abritait peut-être un poste de secours ou une seconde ligne de tranchée, c’est l’hypothèse que nous avons retenu comme la plus plausible face aux contradictions de la fiche matricule et de la fiche « Mort pour la France » et du J.M.O. de la 73ème Brigade111.

Fernand Leroy avait à peine 23 ans.

109 Ces renseignements ainsi que ceux des paragraphes qui suivent s’appuient sur la fiche matricule (http://www.archinoe.fr/cg72) la fiche «Mort pour la France » (voir ci-dessous) et le J.M.O. de la 73ème Brigade (cote : 26 N 517/1, sur le site du S.G.A. : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr) ou l’historique du 2ème Régiment de Zouaves, consultable sur Gallica : http://gallica.bnf.fr.

110 Nom allemand d’un canon à tir courbe (et non tendu) et donc capable d’atteindre les tranchées adverses. Les français se doteraient aussi rapidement de cette artillerie adaptée à la guerre de tranchée.

111 La Fiche matricule et la fiche « Mort pour la France » indiquent bien le 2ème Zouaves comme régiment de Fernand Leroy, mais elles indiquent Saint-Éloi en Belgique comme lieu du décès. Or, le régiment n’était pas alors dans le saillant d’Ypres mais dans le secteur du Bois-Saint-Mard, Tracy-le-Val (un peu en arrière de la ligne de front), la ferme de Quennevière.

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